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L'Afrique, continent motocycliste

LORSQUE LE JAPON MOTOCYCLISTE a entrepris la conquête du monde occidental aux alentours des années 60/70, il l'a fait avec une technologie révolutionnaire (après être passé par la case "copie"). Ses machines aux performances sidérantes comme leurs régimes-moteurs annonçaient des puissances inconnues jusqu'alors, sans parler des "commodités de la circulation" tels les clignotants, le démarreur électrique, le compteur compte-tours, le frein double-cames, la béquille latérale, etc. Depuis une ou deux grosse décennies une révolution comparable, déjà à un stade avancé, s'est produite à l'échelle d'un autre continent : l'Afrique.

La moto n'est pas une totale nouveauté pour les Africains, mais c'était  un objet de curiosité devant une mécanique d'homme blanc. Longtemps ce continent sera le terrain de jeu d'Occidentaux en quête de sensations fortes. Sous couvert d'explorations de pays inconnus, c'était aussi un moyen de rechercher des ressources en matières premières exploitables. Quelqu'un a dit "rien de changé" ? (Sur les rives du lac Victoria, ce voyageur en Harley a craint la panne de carburant). 

Un douteux folklore a produit des images dans le meilleur style colonialiste avec la pointe d'érotisme exotique que la morale n'autorisait pas alors à la femme blanche (sauf sur les célèbres, mais clandestines, cartes à jouer dites "transparentes" (Sertum OHV dans les années 30 - Abyssinie, colonie italienne).

Les années 90 découvrent la photographie africaine qui se pratiquait pourtant depuis près d'un demi-siècle (!). Malick Sidibé, Seydou Keita sont les plus connus des artistes du Kodak qui opéraient tous deux au Mali (ex-Soudan français). Spécialisé dans le portrait, S. Keita a travaillé en studio, fournissant à ses sujets un matériel décoratif allant de l'accordéon au Vespa, voire à la 203 Peugeot. (C'est une Motobécane 125 D45 latérales qui a tenté ici ce fier père de famille).

Changement d'époque et changement de machine pour le maître Malick Sidibé, célèbre photographe malien qui a commencé sa carrière dans un pays qui était alors le Soudan Français (il est inutile de préciser la marque de la moto choisie par les deux amis).

Dans un Congo Belge, alors propriété personnelle (!) du Roi Léopold, un connaisseur roulait en Norton culbuté (Model 18 ?). Longtemps avant lui, les missionnaires apportèrent la bonne parole à leurs ouailles au guidon de Saroléa ou Gillet d'Herstal comme en font foi de nombreuses cartes postales.

Malick Sidibé - "L'Oeil de Bamako" - tenait compte de l'évolution de son pays, accueillant la percée des premières japonaises dont ce 50 Honda C110. Il est cependant peu probable que, sur la route, le mâle africain (comme bien d'autres) aurait accepté de laisser les commandes à son amoureuse...

 Deux cylindres parallèles, arbre à cames en tête de 24 ch sur la C77 (300 cm3) ou 22 ch de la C72 (205 cm3), démarreur électrique, frein avant double-cames, etc, le Japon partait à l'assaut de l'Afrique dans les années 60 avec les mêmes machines "sophistiquées" qui avaient conquis l'Europe et les États-Unis. Pourtant le soufflé est retombé car ce continent n'avait que faire de la moto-loisir. Plusieurs décennies vont s'écouler avant qu'une vraie vague motocycliste se manifeste. 

LA DIFFÉRENCE est que cette fois, on trouve les Chinois à la manœuvre, avec une stratégie économique adaptée à leur clientèle et à leurs... propres ambitions ! Implantation d'unités de montage, aides financières directes parfois sous forme de dons aux États et surtout, dans ce qui nous occupe, une technologie basique "empruntée" aux japonaises qui permettent de commercialiser des motos à des prix extrêmement bas, proche du dumping. Les tarifs vont de 400 000 à 600 000 francs CFA (1000 CFA : 1 € 52) pour des 125 et un peu moins pour les scooters qui ne sont que des 50 ou 80 cm3, et à roues de taille moyenne pour résister aux voies de communication locales.

Simple et directe, la publicité ne s'embarrasse pas des lois en vigueur. Mais la prolifération exponentielle des taxis-moto dans tous les états africains les a mis dans le collimateur des forces de répression et la rétorsion s'exerce souvent de façon simple, elle aussi !

POUR UNE RAISON qui reste à définir, le "petit" Togo (petit en superficie par rapport aux autres pays africains) est la plaque tournante d'arrivée des machines chinoises qui partent ensuite vers l'Afrique de l'Ouest et Centrale. C'est à Cinkassé, une ville de 11 000 habitants au nord du Togo qu'arrivent les motos chinoises Dayang en pièces détachées. Elles sont remontées par une main d'œuvre locale assistée de techniciens chinois, puis elles vont alimenter les pays limitrophes (Bénin, Burkina-Faso, Nigéria) et même au delà. En 2016, la même Dayang investit 8,5 milliard de fCFA dans une usine d'assemblage à Notsé, cette fois dans le sud du pays, à une soixantaine de kilomètres de la capitale, Lomé. L'objectif est ambitieux : produire 2 à 3000 motos par mois !

Parallèlement, on apprenait le 13 février 2018 que la Chine effectuait un don au Togo de 8,5 milliards francs CFA. Ce qui entraîna le ministre de l'Économie à déclarer : "J'ai l'intime conviction que cette coopération continuera de se renforcer et permettra d'accroitre le portefeuille de projets d'intervention de la Chine en faveur du Togo".

Seulement 15 % d'entre elles restent dans le Togo selon Giorgio Blundo, directeur d'Étude à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHSS) qui précise que "Le Togo a importé de la Chine des motos pour une valeur de 205 millions d'euros en 2016", occupant "320 acteurs avec près de 125 marques dénombrées" (1). La liste est longue, en effet de ces marques qui commence à APSONIC jusqu'à ZONGSHEN en passant par Bli, Boxer, Chunlan, Dayang, Haojin, Haojue, ZF-KY (ou Huawin), Jialing, Lifan, Lingken,  Pantera, Qinqi, Rato, Royal, Sonlink, Senke, Volex en ajoutant des dizaines et des dizaines d'autres qui ne sont peut-être que le nom "personnalisé" d'un seul modèle. (1) Le texte de l'anthropologue Giorgio Blundo est à retrouver sur le site : http://french.peopledaily.com.cn/Afrique/n3/2017/1007/c96852-9277089.html

Au Nigéria, une 125 Haojiang qui est probablement une moto-taxi car le pilote est casqué comme la loi l'exige sans être toujours bien respectée. Cette machine pourrait bien être une version locale de la Honda CG des années 70 une utilitaire culbutée à la réputation d'increvable.

Au Nigéria toujours où les femmes prennent le guidon, ne se contentant plus du siège passager. Les machines sont des Lifan modifiées techniquement ou esthétiquement selon une pratique des importateurs africains qui transmettent aux constructeurs chinois lesquels s'exécutent en retour. Pare-chocs, solides porte-bagages, larges repose-pieds passager et carter de chaîne enclose (la conduite en tongs est une généralité) permettront d'atteindre les trois années de moyenne d'âge d'utilisation demandée par les usagers.

Le choix est immense dans la production annuelle de la Chine qui serait, selon Giorgio Blundo, de 23 millions de motos dont 9 millions sont exportées. Au passage, on aura reconnu Chunlan, Zongshen distribuées en France de même que Jialing qui a une production annuelle de 2 millions de deux-roues.

 Dans la plupart des métropoles africaines, les moyens de transport urbains sont soit inexistants soit tellement vétustes qu'ils rebutent les habitants. Ceux-ci se rabattent sur les taxis-autos dont les tarifs sont variables-négociables ou les mini-bus en voie d'extinction pour cause d'une utilisation aux limites de leurs possibilités mécaniques.

Une rue de Lagos (Nigéria), les taxis et mini-bus sont de couleur jaune.

Le vide - si l'on peut dire - a été comblé par les taxis-motos mieux adaptés à une circulation aux règles aussi sauvages qu'inexistantes dans des villes dont la population se compte par millions : Lagos (Nigéria) a 22 829 000 habitants ; Luanda (Angola) 9 165 000 ; Bamako (Mali) 4 300 000 ; 45 autres villes dépassent les 2 000 000 ! Plus de 40 % d'Africains vivent en milieu urbain (pour mémoire, la France dénombre 2 210 000 parisiens et 7 000 000 pour toute l'agglomération).

Certains emplacements servent de points de ralliement aux taxis-motos qui y attendent le(s) client(s). Mais c'est parfois un peu long et il y a toujours...

... le temps d'une petite sieste dans des pays où les problèmes de stationnement sont (encore) inconnus.

Aux heures de pointe, la circulation ressemble à celle de toutes les grandes métropole du monde avec les mêmes problèmes d'encombrement et de pollution, bien que la majorité des motos chinoises soit des quatre-temps

Quatre personnes semble être le maximum que peut supporter une moto lègère, mais il y a des excès comme partout, bien que les règlements restrictifs commencent à être promulgués. Reste à pouvoir les faire respecter alors que la corruption endémique permet de régler les petits problèmes quotidiens.

La moto rend les échanges plus faciles entre la campagne et la ville où le cultivateur peut livrer directement sa récolte (de manioc)... au prix d'une acrobatie qui semblerait réservée aux gamins sans cervelle.

Même bon marché (apparemment), la moto est un bien à préserver des aléas de la circulation et aussi des intempéries naturelles. Le sable en tempête est de celles-ci et on s'en protège à grand renfort d'emballages plastique-bulles. Le changement de couleur montre que ce n'est pas une simple fantaisie.

La multiplication des accidents de circulation décide les gouvernements de plusieurs pays à lancer des campagnes de prévention répercutées par des signaux sans équivoque. De leur côté, les taximen-motocyclistes (ci-dessous) en remettent une couche là où on ne les attendrait pas...

La vérité oblige à dire que le journal qui a publié cette information est allé chercher l'illustration sur un site (summerbunnies.com) d'un très lointain rapport avec la moto ou les taxis...

PROCHAIN ARTICLE : La moto arme de guerre en Afrique

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J
La Honda C 110, est plutôt une SS 50, mignonne mais tellement bridée pour la France que c'était devenu un véritable oignon.
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