LA DIFFUSION GALOPANTE DES TRANSPORTS MOTOCYCLISTES a des effets positifs sur la vie des Africains (voir article précédent), aussi bien dans les centres urbains que dans les campagnes. Mais la moto -chinoise - a aussi augmenté les capacités de nuisance des djihadistes, en particulier ceux de la tristement célèbre secte Boko Haram. Très active au Nigeria où elle a été fondée en 2002, ses exactions ont débordé sur les états voisins, nord du Cameroun et Tchad. Les monts Mandara ont longtemps été un refuge pour les "bases" de Boko Haram d'où partaient des attaques-éclair vers le Cameroun. L'armée camerounaise, soutenue par les Tchadiens, les obligeant ensuite à des affrontements directs a incité les djihadistes à se diriger ensuite plus au nord vers le lac Tchad.
Les Monts Mandara (moyenne 900 m) sont en bistre. En gris clair, le tracé théorique du lac Tchad et en gris foncé ce qu'il en reste aujourd'hui (plus ou moins selon les saisons).
La tactique des djihadistes a été décrite de façon précise par Christian Seignobos, directeur d'études à l'Institut des recherche pour le développement (IRD). Il a passé une cinquantaine d'années entre Nigeria, Tchad et Cameroun et dans le dernier ouvrage qu'il a signé sur le sujet - "Des Mondes Oubliés" (Editions IRD Parenthèses) - son texte est illustré d'une plume trempée dans l'encre de Chine. Plusieurs de ses remarquables dessins mettent en scène ce qu'il appelle "la cosaquerie motorisée" de Boko Haram.
L'unité mobile de Boko Haram se compose de trois hommes. Le pilote est assis très en avant sur le réservoir ; au milieu, le "navigateur" est aussi pourvoyeur en munitions du troisième, le mitrailleur. On voit l'avantage du carter de chaîne secondaire enclose ainsi que les reposes-pieds allongés (© christian seignobos).
On écoute Christian Seignobos : "Actuellement leurs éléments, toujours montés sur motos, se dérobent et pratiquent le harcèlement. Les Tchadiens, avec leurs colonnes de Land cruisers Toyota, se croyaient les maîtres incontestés de la guerre de mouvement. Ici, ils échouent à poursuivre les motards de Boko Haram qui disparaissent dans la moindre savane arbustive empruntant le chevelu des sentiers."
Vue aérienne d'un village du bassin du Tchad déserté par ses habitants.
Après la chute de la Libye, des millions d'armes de toutes sortes, même les plus inattendues comme ce quad transformé, se sont retrouvées sur le "marché" international. Nombre d'entre elles ont traversé plusieurs frontières pour parvenir dans les mains de Boko Haram. Au second plan, une moto avec des phares additionnels bleus, probablement volée à une escorte de police.
Le moyen de transport le plus rapide des armées régulières camerounaises et tchadiennes est le pick-up Toyota qui était aussi le choix des djihadistes... mais seulement après la moto !
L'armée n'est pas toujours persuadée de la loyauté des populations que peuvent tenter les avantages (petits trafics, récompense pour "services rendus", primes voire salaires réguliers) que lui promet Boko Haram, outre pour beaucoup une réelle adhésion à ses thèses religieuses. Afin de contenir les déplacements des djihadistes, l'armée tchadienne a lancé une opération de réquisition puis de destruction des motos "suspectes".
Une mesure aussi radicale a évidemment provoqué son lot de drames, écrit Christian Seignobos car : " Entre Nigeria et nord du Cameroun, on ne compte plus le nombre de méprises tragiques de gens abattus sur leur moto alors qu’ils se rendaient sur des champs éloignés...
... En portant un sac de riz, on peut se voir accusé d’aller ravitailler une faction Boko Haram en brousse. Depuis plus de deux ans, cette paranoïa paralyse économiquement des régions entières".
Dessin © Christian Seignobos
En se concentrant sur les rives du lac Tchad, les djihadistes retrouvent un territoire propice à leur combat, mais ils s'éloignent également un peu plus des monts Mandara et des plaines alentour. Ils y multiplient alors les actions terroristes, utilisant filles et garçons, les filles surtout, qui se font exploser dans la foule.
Le lac Tchad perd de sa superficie d'année en année mais avec ses 2500 à 8000 kilomètres carrés restant, il offre un espace dont les djihadistes savent utiliser les possibilités stratégiques. Ils se déplacent d'une ile à l'autre dans de longues pirogues (ci-dessous) pouvant embarquer une vingtaine de combattants et quelques motos. Si bien que leurs proies sont prises en étau entre la terre et l'eau.
Dessin © Christian Seignobos
Sur le modèle des embarcations (des "hors-bord") de 12 à 17 mètres motorisées par des 25 à 40 ch utilisées par les pêcheurs du lac, Boko Haram peut aussi embarquer près d'une centaine de djihadistes avec une douzaine de motos (source C. Seignobos). Recouvertes d'une tonnelle en végétaux, elles se fondent dans le décor et sont invisibles du ciel et se faufilent dans le dédale des multiples...
... canaux de faible profondeur. Sur la terre ferme d'autres territoires, Boko Haram éprouve des difficultés à se ravitailler en essence pour ses motos que lui fournissent des "passeurs" au Nigeria et au Cameroun. Plus que jamais les deux-roues sont systématiquement détruits par les forces armées lors de chaque affrontement. La réplique ne tarde pas à venir et les djihadistes se déplacent alors sur des dromadaires ou à cheval !..
... surtout au moment de la saison des pluies qui gorgent d'eau les basses terres interdisant le déplacement de tout véhicule motorisé . D'où, en retour la riposte des militaires qui interdisent à la population de circuler à cheval.
Le gouvernement nigerian a créé quelques unités motocyclistes (ci-dessus) afin de combattre Boko Haram avec ses propres armes. De son côté, le B.I.R. (Bataillon d'Intervention Rapide) de l'armée camerounaise patrouille sur le lac Tchad à bord de certains gros Zodiac armés.
Mais pour un militaire audacieux, la solution la plus efficace et la plus discrète est peut-être de se servir d'une moto-taxi "réquisitionnée" au coup par coup. Au risque, pour le pilote bénévole d'y laisser sa peau...