Au bout de quelques années, chez Motobécane une "cellule" va permettre à un noyau de trialistes de construire quelques machines que l'on hésite à baptiser "d'usine", même si elles furent montées avec des pièces tirées des ateliers de Pantin. De plus, ces spéciales doivent une grande part de leur existence à David Skinner, un trialiste anglais et à Christian Christophe, un Allemand francophile "récupéré" par Motobécane après la guerre. Il écrivait dans Moto Revue sous le "pseudo" Ch2 des articles où il exprimait des opinions peu conventionnelles sur la construction des motos. Farouche partisan du deux-temps dont il annonçait l'avènement proche (la suite lui a donné raison... momentanément), il préconisait aussi l'emploi de la bakélite, l'un des premiers plastiques, pour la construction des cadres de motos (là, il avait sans doute tort...). Technicien de haut-niveau, il procédait par ailleurs à des recherches personnelles sur des machines de trial de sa construction. C'est lui qui fera engager Skinner chez Motobécane comme "Conseiller technique de langue anglaise" (!) après que Jacques Charrier lui ait signalé ce jeune trialiste qu'il avait vu courir en Angleterre. À ce trial, en 1957 à Sheffield, David Skinner avait parlé à Jacques et Maude Charrier d'une annonce qu'il avait vue, proposant un emploi d'horloger (le métier de Skinner) à Saint-Cloud où Charrier avait son magasin représentant BSA et Terrot. Dans un courrier au Zhumoriste, David Skinner a raconté toute son histoire. Extraits :
"Ils m'ont dit de venir en France, ce que j'ai fait. J'ai travaillé pendant deux semaines, pas plus car je n'avais pas de permis de travail. J'ai vécu chez les Charrier de janvier à mars 1958 et j'ai couru sur ma Dot quelques trials que j'ai tous gagnés : Fontainebleau, Clamart, Maisse, Nogent-sur-Seine, Ville d'Avray. C'est à Ville d'Avray que la Terrot de trial a fait sa première sortie en public (détails sur cette Terrot en fin d'article). En novembre 1958, je suis revenu en France et j'ai gagné à St-Cucufa, toujours avec la Dot que j'ai convertie en machine de cross une fois rentré en Angleterre. En 1960, M. Christophe m'écrit qu'il y aurait une place pour moi chez Motobécane, et que l'obtention d'un permis de travail ne serait pas un problème. J'ai donné mon accord en demandant d'être affecté au service des essais. C'est ainsi que je me suis retrouvé à tester des Mobylettes à Montlhéry où je pouvais aussi m'entraîner au trial pendant la pause du déjeuner ".
Patuelli qui est le Chef du service d'essais des Motobécanistes opérant à Montlhéry va s'occuper de faire évoluer selon les conseils de Skinner les Motobécane de trial garées dans les ateliers sous l'anneau de l'autodrome. Les pièces spéciales avec les soudures nécessaires sont réalisées à Pantin, en "perruque" pendant que la Direction a choisi de regarder ailleurs.
C'est avec une semblable machine que David Skinner va remporter une rafale de trials qui aurait dû le mener sûrement vers le titre de Champion de France, mais non ! Sur une stupide querelle avec un de ses co-équipiers, il arrête tout et quitte la France. C'est Jean Bohec qui remporte le titre en 1961 et 1962, lui aussi sur une Motobécane avant de passer sur Triumph puis Greeves et récolter les deux titres suivants.
La "dream team" Motobécane en 1962, de gauche à droite : Sacareau, imbattable en 50 cm3 (!), Auroux, Delauné, Skinner et Patuelli. Le camion aux armes de Motobécane était prêté par l'usine.
En 1997, au trial de Beauval-en-Caux organisé par Marion et Fabrice Bazire, David Skinner retrouva sa Motobécane pieusement préservée par Michel Guidonnet. À presque 40 ans de distance, le Britannique n'avait pas perdu le goût de la gagne !
Comme chacun des pilotes de l'équipe Motobécane appliquait ses idées personnelles, on remarque des différences d'une machine à l'autre, en particulier dans le frein avant (moyeu central ou non), et le cheminement torturé du tube d'échappement. L'autre gros travail consistait à augmenter la cylindrée portée le plus souvent à 200 cm3 ou même un peu plus.
La forêt de Fontainebleau, lieu de naissance historique du trial, accueillit longtemps entre sable et rochers l'épreuve de Nemours, comme ici en janvier 1958 (pilote inconnu).
1959 : dans les bois de Clamart, Saint-Marc "double" une Motobécane abandonnée sur le bas-côté par son pilote parti en reconnaissance dans la "zone". Cette Tobec a toutes les apparences d'une "usine" par sa suspension arrière et son échappement. La machine de Saint-Marc est une 175 Automoto à moteur A.M.C., l'autre alternative française en 4 temps culbuté de petite cylindrée qui avait beaucoup plus les faveurs des pilotes de vitesse.
Encore un travail personnel sur une suspension arrière dont le débattement ne devait pas être très important, mais l'oscillante allait mettre encore du temps avant de convaincre tout le monde de son efficacité. On notera au passage que le rôle des commissaires de zones était parfois aussi exigeant que le pilotage en tout-terrain.
Pilote d'époque et machine d'époque : Jean-Jacques Chevreux sur la 200 à réservoir Poney de ses débuts. Il est l'un des plus fidèles parmi les participants aux épreuves de l'AFATA (Association des Amateurs de Trial à l'Ancienne). Un intitulé qui dit tout sur les buts de ces jeunes gens.
Christian Christophe sur sa très spéciale à moteur de Mobylette servi par une couronne arrière de généreuses dimensions. Le cadre est intégralement suspendu. La fourche avant à roue poussée sur balanciers utilise des anneaux Neiman travaillant à l'extension (derrière les bras de fourche). Tracée près du départ à la mairie de Clamart, cette zone non-stop permettait au public d'assister aux évolutions des pilotes sans trop se salir les chaussures.
Nouvelle évolution de la "Christophe Spéciale" avec une fourche avant inspirée de celle des Greeves anglaises dite "banane". Le moteur a pris du volume car c'est celui du scooter 125 deux-temps de Motobécane ce qui explique la taille de la couronne arrière devenue plus normale...
Dernier état de la "Christophe Spéciale" (années 90) qui se rapprochait encore un peu plus d'une moto de trial de l'époque telle que pouvait se la construire un amateur, néanmoins avec une curiosité...
... qui est cette ingénieuse fourche à l'aspect d'une frêle télescopique ("inversée" !), mais où suspension et amortissement sont assurés par d'économiques anneaux de caoutchouc.
Jusque dans les années 70, l'amateur de Motobécane pouvait participer à un trial moyennant quelques concessions au modernisme : fourche avant d'une japonaise (125 TY ?), combinés arrière de même provenance et garde-boue avant en (beuark !)... plastique.
Les épreuves du Moto Club Châtillonnais, organisateur du trial de Clamart étaient patronnées par les produits Chambourcy (les yaourts "recette des bergers bulgares"), d'où les dossards à cette marque. Le parrainage perdura longtemps comme en témoigne ce Motobécaniste de 1970 à Clamart.
En 1956, pour son 5ème trial du 25 novembre à Saint-Cucufa, l'Amicale Motocycliste de Saint-Cloud se réclamait du parrainage du journal L'Équipe et de Ricard, Anisette et Liqueur. Fixant la barre plus haut, en 1960 l'AMSC était placée "Sous le haut patronage de M. R. Buron, ministre des Travaux Publics, des Transports et du Tourisme ainsi que de M. Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports". Aujourd'hui, lorsque la moto intéresse les Pouvoirs publics, ça se passe avec le ministère de l'Intérieur...
Ci-dessous, quelques pages du programme du trial 1960 de l'AMSC où l'on retrouvera quelques noms de pilotes qui deviendront célèbres par la suite... et aussi des marques exotiques disparues.
SKINNER ET LA TERROT DE TRIAL
Durant deux semaines au début de 1958, David Skinner (à gauche) a travaillé chez Jacques Charrier (à droite) sur une 175 Terrot pour en faire une moto de trial acceptable (Charrier était agent Terrot). Le cadre d'origine fut retaillé et renforcé dans la partie arrière, tout le circuit électrique modifié et allégé. La roue avant était celle de la Dot de Skinner et la fourche venait d'une 350 Terrot. Une couronne arrière plus grande fut installée, mais le moteur montait encore trop haut dans les tours, manquant de la souplesse nécessaire en trial. La machine fit sa première apparition en public à Ville d'Avray aux mains de David Skinner qui trouva définitivement que ce n'était pas une "competitive proposition". Selon lui elle aurait été renvoyée à Dijon.
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