La question m'a été posée par un certain "Miduro" qui me croit bien placé pour y répondre. En effet, il me soupçonne d'avoir "cambriolé" les archives de l'importateur Clément Garreau ! Pure calomnie, non pas que mon honnêteté foncière m'aurait empêché de commetre un tel forfait mais tout bêtement parce que l'occasion ne m'en a jamais été fournie... Tout mon savoir tient donc en quelques photos chinées aux Puces ou chez des brocanteurs ainsi que plus récemment sur eBay et autres mauvais lieux.
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L'idée de départ était de ne parler que des machines d'après-guerre, répertoriées (a priori) comme ayant été vendues sous le règne de Clément Garreau Imperator. Mais il était impossible de résister au cadeau "bonux", représenté par cette photo d'une H.R.D. "Serie A Rapide" française immatriculée RM 1 dans la Seine, soit entre octobre et décembre 1938 ! D'après les diverses sources disponibles (presse et livres), il y aurait eu 79 exemplaires de 1000 Serie A fabriqués entre 1936 et 1939. Autant dire que celle-ci était d'une extrême rareté dans le paysage motocycliste hexagonale (ailleurs aussi, sans doute). La plaque fixée à la fourche est celle du "Sporting Moto Club Parisien" et c'est à peu près tout ce qu'on sait de cette machine avec une mention manuscrite au dos : "Mai 1940". Cependant, le personnage à gauche apparaît à plusieurs reprises dans Moto Revue, signataire de photos du genre "touristique" ainsi légendées : "De passage sur le port de Nice, M. X.... nous envoie ce souvenir de vacances". Et chaque fois il est photographié à côté d'une moto de marque différente. Ne pourrait-il pas s'agir alors d'un reporter de la revue, ou du moins d'un proche de la rédaction ?
On a beaucoup exagéré le bruit effrayant des échappements des Vincent, étouffés par un seul silencieux. Preuve qu'il s'agit d'une pure médisance car malgré ses 45 chevaux, il fallait à cette 1000...
... un gros avertisseur à dépression, en plus d'un électrique (6 volts...) pour s'ouvrir les routes à la fin des années 30 ! On pardonnera la mauvaise qualité de cette photo qui, de plus, est de petit format 6 x 8.
Pas de présentation tape-à-l'œil chez Garreau (moustache) qui, en compagnie de Gustave Lefèvre, expose trois 1000 qui sont encore des H.R.D. La première est une Rapide immatriculée YD donc déjà vendue (?) en Seine-et-Oise. C'est une plaque avec un numéro de 1949, juste après que l'importation lui ait été confirmée (voir article Zhumoriste du 11/02/2014). Les carters noirs de la machine du milieu révèlent une Black Shadow en immatriculation "garage" soit WWO. Tout en haut, trône une autre Rapide (Photo © Archives F.-M. Dumas - www.moto-collection.org)
Toujours siglée H.R.D., une Rapide parisienne "avec son RQ" (plaisanterie de l'époque, laissez tomber). Elle est donc de mai 1948 et il se pourrait donc qu'elle ne soit pas passée par Garreau ? Dans les années 30, on trouvait des H.R.D. chez Lionel Detkereff (21, rue du Mont-Thabor, Paris 1er), mais la période de l'après-guerre est beaucoup plus confuse concernant la vente des machines anglaises. Il y avait si peu de matériel neuf (sévère contingentement des devises) qu'on ne faisait pas beaucoup de différence entre les notions de distributeur, agent, représentant, concessionnaire, etc.
Enfin un pedigree connu, du moins en partie. Il s'agit, nous dit Moto Revue qui publia ce document en 1949, de l'attelage Simard-1000 H.R.D. Rapide de Sa Majesté Bao Daï, empereur d'Annam. Il est présenté ici par le président de la Ligue Motocycliste de Provence et du Moto Club de Cannes, ville de villégiature de l'empereur avec sa famille.
Marcel Cornet, futur président du M.C. d'Auvergne dans ses œuvres lors du Circuit des Salins 1951. Sans passager remplacé par un lest, au guidon de sa 1000 (Black Shadow ou Rapide ?), il devance Jacques Drion (Norton) et Roger Sceaux (BMW), qui gagnera, dans cette épreuve ouverte sans limitation de cylindrée. Le photographe est à une place de choix... (Source : "La Moto en Auvergne", édité par le M.C. d'Auvergne - 2001).
Rival de José Meiffret dans la conquête du 200 à l'heure cycliste, le champion Louis Chaillot (à gauche) avait choisi pour sa tentative la Black Shadow appartenant à André Chevallier, figure célèbre du M.C. Dauphinois. Tentative qui n'eut pas lieu, suite au décès brutal d'André Chevallier.
La Black Shadow "20 Y 89" fut une machine longtemps connue dans la région de Sens. Elle le devint un peu plus lorsque MM. Pichon & Parat, deux enfants du pays, signèrent la "carrosserie" du vélo de José Meiffret dans sa tentative de record à Montlhéry en 1951. C'est finalement derrière une Mercédès 300 SL qu'il atteindra son but. Pour plus d'informations sur Pichon & Parat, se reporter à votre ouiquipédia habituel (très intéressant).Belle brochette d'anglaises au départ de ce Rallye Aiglon de 1952. Une Triumph en noir et argent, au fond (T 100 ?) puis Triumph encore, sans doute en bleu métallisé (Thunderbird 650 ?) et enfin une H.R.D. produit de divers millésimes avec échappement mégaphone (les jeunes couches disent "tromblon"), suspension de selle double sur éléments télescopiques, etc. Mais Philip Vincent ne disait-il pas : "Aucune Vincent ne ressemble à une autre" ?
Une Vincent au Bol d'Or, celle de Duprat qui fit les deux tours d'horloge en accumulant 2019,759 km soit à 84,156 de moyenne (6è au classement général). Pas de préparation spéciale apparente sauf un large guidon et un réservoir supplémentaire installé sur celui d'origine de la Black Shadow.
Extraite du site du célèbre Trophée, cette photo représente Guicheteau, concurrent sur une 1000 Rapide. Autres précisions bienvenues, comme pour tous les documents de cet article.
Une Black Prince ou Black Knight "française", mais sans garantie. D'abord parce que cette photo vient d'Allemagne (inscriptions au dos), ensuite parce que son pare-brise, radicalement réduit, est conforme aux exigences du TÜV. Cet organisme de contrôle technique d'Outre-Rhin ne permettait pas la conduite d'une moto "à travers le pare-brise". C'est ainsi que la Honda Gold Wing carénée était livrée aux Allemands avec un pare-brise d'une hauteur limitée (au moins jusqu'à 1981). Mais la photo est si belle... et le casque a bien l'air d'un Géno métallique !
Sur une planche de contact 24 x 36, quelques vues d'un bitza à moteur "que-vous-savez" typique d'une certaine époque. L'environnement ressemble à du Montlhéry dont on voit par ailleurs la piste de béton rapiécé. Une autre photo représente une Kawasaki 3 cylindres de G.P. numéro 59 dotée d'un carénage siglé "Zerchot" et "Fleury" avec des roues à branches. Si ça peut aider...
SANS OUBLIER CEUX QUI N'ONT PAS LAISSÉ D'IMAGE MAIS DES ÉCRITS
Grâce à la lecture des revues spécialisées, on trouve encore quelques traces de propriétaires français de Vincent (ou H.R.D.). Mais ce n'est pas dans les pages rédactionnelles qu'il faut chercher, c'est dans le courrier des lecteurs. Et plus particulièrement dans la rubrique "Ce Qu'ils En Pensent", géniale innovation de Moto Revue qui préfigure les "Que Choisir" et "50 Millions de Consommateurs" d'aujourd'hui. Les forums actuels pourraient tenir ce rôle... s'ils étaient écrit en français comme le sont les "C.Q.E.P." de nos pères.
Les textes de MM. Dalmier (Toulouse) ou Fourrier (Toulouse, ami du précédent), celui de M. Guerchoux (Malzéville) se lisent avec un rare plaisir tant ils sont précis et imagés. Sévères aussi lorsqu'il le faut. En particulier lorsqu'il est question du freinage "un peu juste" ou d'un joint qui laisse passer l'huile dans l'embrayage. Mais c'est un démontage-nettoyage qui se fait au bord de la route en une vingtaine de minutes ! Plus inquiétant, un moyeu arrière en dural qui se fend en demi-cercle ! (Fourrier).
Cependant ce ne sont pas les qualités du moteur - indiscutables - qui enflamment les polémiques, mais un C.Q.E.P. de 1954. Possesseur d'une Black Shadow, l'Aurillacois Marcel Vidal y déclare avoir fait les 164 kms d'Aurillac à Clermont-Ferrand en 1 heure trois-quarts "avec traversée des agglomérations selon les arrêtés municipaux. Ceci donne je crois une moyenne de 90 à 91 km/h". Grosse émotion du côté de Clermont où le M.C. d'Auvergne, après échange de plusieurs courriers via Moto Revue met Vidal au défi de renouveler sa performance sous contrôle. L'affaire s'éternise au point que Moto Revue annonce qu'il ne publiera plus rien tant que Vidal ne se sera pas exécuté. On n'en saura hélas jamais plus.
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