Lors de l'une des ses dernières interviews télé à la BBC, il a commencé par se verser une coupe de champagne qu'il a dégustée avant de répondre aux questions du journaliste. D'emblée on se doute que Ronald Searle n'était pas un Anglais comme les autres. D'ailleurs, Anglais c'est à voir ! En 1961, il s'installe à Paris avant de partir près de Draguignan à Tourtour qu'il n'a plus quitté jusqu'à son décès annoncé en janvier de cette année alors qu'il était défuncté le 30 décembre 2011 à 91 ans. Une dernière farce, en somme, ou plutôt trait d'humour noir. Ce genre fut l'une de ses spécialités en commençant par les créatures diaboliques qui ont fait sa célébrité mondiale, les Saint Trinian's Girls, pensionnaires d'une "Academy for Young Ladies". Un collège qui était tout sauf académique et où ces petites pestes inventent les pires tortures infligées à leurs professeurs ou à leurs propres copines. Dans leur uniforme noir avec chapeau noir, bas noir et porte-jarretelles, buvant whisky et fumant le cigare, Donald Searle en a fait d'abominables pin-up de l'Enfer néanmoins attachantes par leur facilité à inventer les pires "drôleries". Assez pour inspirer plusieurs transpositions à l'écran et à la télé basées sur les 5 albums édités par Searle.
La couleur a succédé rapidement au noir et blanc dans des compositions qui vont faire la joie de centaines de milliers de "lecteurs" à travers le monde anglo-saxon. À de nombreuses reprises, il fera la couverture du New Yorker, le Saint-Graal américain des artistes dessinateurs, une publication qui, entre parenthèses, accueillera aussi notre Sempé national. En France, il publiera un peu à ses débuts dans Paris-Match, France Dimanche puis, bien plus tard, dans le prestigieux quotidien Le Monde, mais dans tous les cas ses œuvres passeront en noir, privant les amateurs de ses chatoyantes compositions en couleurs qu'il faut retrouver dans des livres. (ci-dessus : "La raison du plus fort", dans 'Chats, Chats, Chats' - Éditions la Boétie, 1982).
Une St Trinian's girl qui a une façon très personnelle de concevoir l'école buissonnière.
- Je ne dois pas fumer le cigare pendant la prière...
- Je ne dois pas fumer le cigare pendant la prière...
Sans légende
Jeux de plein air à St Trinian
"Beaucoup de corps, mais peu de profondeur"
Dans les années 80, Ronald Searle part en guerre contre le charabia ésotérique et ampoulé des critiques "tastevins" qui écrivent ensuite sur le vin. "Ils font autant de mal au milieu du vin qu'ils en font à la langue (...), leur châtiment est proche" prophétisait-il. En attendant le Jugement dernier, Searle publie une cinquantaine de dessins réunis dans "The Illustrated Winespeak" et qui les ridiculisent (ci-dessus).
Au passage, il règle un compte avec les ayatollah nouvellement arrivés au pouvoir en Iran et qui prétendent transformer le vin en eau !
Oui, ici la couleur manque gravement.
C'est sans doute la toute première fois que Searle a l'occasion de dessiner une moto, et il aurait préféré n'avoir jamais eu à le faire. Engagé dans les sapeurs de Sa Majesté britannique, il est fait prisonnier par les Japonais à la chute de Singapour en 1942. D'abord incarcéré à la prison de Changi il est transféré ensuite dans un camp de la jungle et affecté aux travaux de percement de la ligne de chemin de fer entre Siam et Birmanie où sera érigé le fameux pont sur la rivière Kwai. Durant toute sa captivité il va dessiner et dessiner encore car ce à quoi il assiste est proprement horrible : exécutions au sabre ou par pendaison, tortures quotidiennes, bastonnades, absences de soins aux blessés et malades, etc.
Ronald Searle réussit à rapporter plus de 300 de ses dessins qu'il avait cachés sous le matelas de prisonniers malades du choléra que les Japonais n'osaient pas perquisitionner, craignant la contagion.
Terreur des prisonniers, la matraque en bambou du garde-chiourme.
Le sport favori des Japonais : obliger un prisonnier à porter très haut une lourde pierre en cambrant le dos contre lequel son bourreau applique un bambou acéré qui entre dans les chairs au moindre relâchement.
Chaque matin, l'enterrement de ceux qui n'ont pas pu résister plus longtemps. Libéré par les troupes américaines en 1945, Ronald Searle se remet au travail du dessin, mais il n'oubliera pas l'enfer qu'il a connu. En hommage à ses compagnons, il publie un livre (To the Kwai and back - 1986) relatant cette période, accompagné de ses dessins qu'il a légués à l'Imperial War Museum.
Cette tragique période de sa vie ne lui a rien retiré de son sens aigu dans l'observation de ses semblables et des travers de notre société.
D'un voyage à Hambourg dans le "quartier des filles" de St Pauli il rapporta des carnets de dessins que personne ne voulut publier en France. Habitué à défier la censure, Jean-Jacques Pauvert finit en 1968 par les éditer, sur l'insistance de Roland Topor. On était très loin des collégiennes de St Trinian !
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