Alors que la motocyclette amorce en France un déclin qui va toucher le fond vers 1907-1908, elle se porte encore bien en cette année 1905. De nouvelles marques se font connaître, même si c'est parfois pour un temps très bref. L'activité sportive est toujours riche en épreuves sur vélodrome, records en tout genre (vitesse ou distance), renforcée encore par la course-phare de l'année qui est la Coupe Internationale du Motocycle-Club de France. Cette activité motocycliste est rapportée dans la presse spécialisée (automobile) et dans "La Vie au Grand Air", qui n'est pas une revue consacrée au naturisme *, mais un hebdomadaire traitant du sport sous toutes ses formes. L'image ci-dessus est une double-page extraite de cette V.G.A.
* Lorsque j'ai commencé à rechercher cette revue il y a, disons... quelques paires d'années, j'ai eu droit à des regards en coin, voire à des réflexions graveleuses, de la part de bouquinistes, brocanteurs qui ignoraient tout de cette publication. Ils ont appris depuis à la connaître et à en connaître le prix...
Les nouvelles machines
* MOM (Paris)
Donc, dans La Vie au Gran Air c'est la compétition, mais pour la technique il faut piocher dans, par exemple, l'hebdomadaire L'Automobile, La revue des locomotions nouvelles. On y trouve (ci-dessus) cette MOM de 3 chevaux "pouvant être poussé à 3 chevaux 1/4" et dont les soupapes sont "commandées" précise l'article. Mais ce dernier terme étant utilisé dans le cas de soupapes latérales l'encombrement visible au-dessus du cylindre peut faire penser à des culbuteurs de soupapes en tête. On n'en saura pas plus car, de l'aveu même de L'Automobile (8 juillet) : "La Motocyclette MOM (...) ne contient pas d'innovations sensationnelles". Circulez !
À l'automne, L'Automobile (28 octobre) présente une nouvelle MOM bicylindre en V de 6 chevaux car, est-il précisé "les motocyclistes veulent maintenant pouvoir n'être pas forcés de ralentir quand ils arrivent à une montée". Déjà la course à la puissance ! De cette machine on ne saura guère plus que ce que l'on peut déduire de l'examen de la photo soit : les soupapes sont automatiques à l'admission, et le tube d'échappement du cylindre arrière passe curieusement entre les cylindres. La transmission se fait par une courroie directe triangulaire, un frein à sabot agit sur la poulie arrière, frein à étrier sur la jante avant. Quand même un détail fourni par le texte d'accompagnement : le réservoir (nickelé) comprend un compartiment pouvant contenir "deux batteries d'accumulateurs, dont une de rechange, ce qui supprime la redoutable panne d'allumage". À ce jour on ne connaît rien de plus sur ces motos, ni catalogues, prospectus ou autre article dans la presse de l'époque. Dans son premier texte sur la monocylindre, L'Automobile écrivait que la marque MOM "s'occupe de la fabrication des motocyclettes et des voitures automobiles de toutes puissances". Curieux qu'une telle entreprise n'ait pas laissé plus de traces de son activité...
Le constructeur était les "Ateliers de Constructions Mécaniques MOM", Maurice Charotte, 169-173 boulevard Péreire et 51, rue Laugier. Paris (17è).
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* STIMULA (Cormatin - Saône-et-Loire)
Dès sa première présentation vers 1903, la Stimula se démarque de la concurrence par ses moteurs monocylindres. L'un est un 250 à soupape automatique (ci-dessus à gauche), l'autre (deux vues à droite), est un 350 qui possède un échappement commandé par culbuteur, une exception dans la construction française de série. Inclinés légèrement sur l'avant, ces moteurs sont montés dans un cadre simple berceau classique avec fourche avant rigide et fortement haubannée. Comme on le voit sur la photo ci-dessous, les Stimula suivantes (1904-1905) sont encore bien plus innovantes grâce à...
... leur suspension intégrale. À l'avant on trouve une géométrie semblable à celle de la Truffault que va populariser Peugeot. Il semble que cette fourche soit due à Alphonse Saclier, de même que l'oscillante arrière "pré-cantilever" avec son ressort unique sous la selle, protégé par des caches télescopiques. Par la suite la fourche avant sera renforcée mais en gardant son dessin original.
Sur la bicylindre de 1905, Stimula conserve un moteur avec soupapes automatiques comme sur une monocylindre dont le culbuteur à l'échappement a disparu. L'étape suivante passe par la case "soupapes commandées", c'est à dire latérales toutes les deux (ci-dessus), chacune d'elles ayant son propre arbre à cames actionnant un linguet. Le carburateur est de fabrication Stimula.
L'allumage par magnéto est une option (onéreuse), comme d'usage chez la plupart des constructeurs.
Le tricar va connaître un rapide mais éphémère succès et disparaîtra devant la vague de voiturettes plus appréciée de la gent féminine (on se demande bien pourquoi...). Il restera néanmoins longtemps en usage avec une caisse commerciale tôlée ou en osier tressé. Ce modèle Stimula (avec suspension arrière en supplément) est un modeste 3 HP, mais il se fait également en bicylindre de 5 HP. Le 3 HP était garanti pour 55 km/h en palier et capable de gravir une pente à 10 %.
Le tricar pour tous et... toutes !
Jusqu'à 1907-1908, de nombreuses marques françaises ont inscrit un tricar à leur catalogue, mais la plupart du temps il s'agit d'un avant-train plus ou moins bien adapté à une moto amputée de sa roue avant. Deux constructeurs vont en faire un véhicule à part entière : Austral et Contal. Le charmant équipage ci-dessus présente un Mototri Contal mené par Rivierre, pilote qui a donné son nom à un changement de vitesses à deux rapports avec embrayage à cônes que l'on montait dans le moyeu arrière, ce qui autorisait la transmission finale par chaîne. Le moteur refroidi par eau et muni d'un démultiplicateur est un monocylindre Villemain à soupape automatique de 450 cm3.
Un moteur qui respire la robustesse et pourtant, pas plus le Mototri Contal que l'Austral ne semble avoir survécu aujourd'hui en collection. C'est le contraire en Grande-Bretagne qui fut le berceau du mouvement et où les trois-roues les plus extravagants se retrouvent dans les rallyes d'anciennes, mélés aux motos.
Nettement moins "glamour", le Contal en version commerciale avec son moyeu Rivierre. Peut-être allait-il délivrer les "Vins Français & Etrangers" du magasin à l'arrière-plan ?
Une belle pièce qu'il ne faudrait pas s'aviser de démonter "pour voir comment c'est dedans" sans avoir bien étudié la même en coupe ci-dessous.
E = cuvettes en tôle portant l'embrayage (à gauche) et les pignons H, I et J du train épicycloïdal (à droite). En F et G, cône et contre-cône du système d'embrayage. Au moyen de M on appuie sur les ressorts, ce qui repousse F, c'est le débrayage.
Le Mototri Contal Type A de tourisme possède un châssis en tube tandis qu'un type B produit en 1906 aura un châssis en longerons d'acier "comme une automobile". Plus robuste, il était destiné à des usages commerciaux. On distingue sur le réservoir le levier de commande des vitesses au moyen d'une tringlerie assez compliquée. On embraye au moyen d'une pédale au pied gauche. Le régime du moteur se règle par un seul levier au guidon qui agit sur l'avance à l'allumage, la carburation ayant été déterminée au préalable.
Engin conçu pour le tourisme ou le commerce, le tricar est aussi partie prenante dans les compétitions, une catégorie spéciale leur étant réservée. Ils s'affrontent parfois entre eux comme dans le Concours de Tri-cars avec passager organisé par le journal L'Auto, le 10 septembre 1905. On y retrouve les adversaires traditionnels sur Austral (ci-dessus, pilotés par Schweitzer à gauche et Giraud) contre Rivierre sur Contal (ci-dessous). Après le pesage sur la balance publique, ils s'affronteront avec dix-neuf autres concurrents dans cette épreuve de 100 km, soit trois tours d'un parcours tracé en région parisienne entre Saint-Germain et Mantes.
Outre Austral et Contal, pas moins de 11 marques s'étaient engagées. Certaines bien connues telles Werner, Bruneau, Stimula, Lurquin-Coudert avec d'autres plus confidentielles comme La Française (clone d'une Werner), Le Rappel, Chanon, Velox ou Domptet. Sans grande surprise, on trouve les ténors aux trois premières places, soit Schweitzer, Giraud et Rivierre dans cet ordre. Une épreuve de 1 km en côte et une autre en palier sur la même distance avait donné lieu un classement instructif quant à la vitesse dont étaient capables ces véhicules dits de "tourisme". Un tri Werner mené par Bauduret a été le plus rapide sur le kilomètre en palier franchi en 1'21'' soit à la vitesse de 44,444 km/h, suivi à quatre cinquièmes par l'Austral de Cheilus et, dans le même temps, celui de Giraud. Cependant, pour atteindre de telles performances...
... la recherche de vitesse exigeait parfois du passager une position assez éloignée de celle d'un touriste ordinaire ! (Vandelet, agent parisien de Stimula, sur un Stimula-Vandelet bicylindre).
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