C’est peu dire de la marque Lurquin-Coudert qu’elle est mal connue, car on devrait plutôt dire inconnue. On compte aujourd’hui une grosse poignée de survivantes dont certaines à l’étranger. L’une est en Grande-Bretagne, assemblage d’un moteur et d’une partie-cycle différents. Une autre est aux Etats-Unis, sous réserve qu'elle ne soit pas une « interprétation » comme les Yankees les aiment (on en reparlera). Encore dans ces survivantes faut-il inclure des épaves incomplètes, voire simplement un moteur… Pourtant, dès leurs débuts dans la motorisation du deux-roues, M. F. Lurquin auquel s’était joint Charles Coudert (dans l'association, c'est peut-être lui le "motoriste") avaient bien fait les choses : participation aux principales épreuves de vitesse sur vélodromes, aux marathons
routiers de ville à ville ou encore dans les fameuses courses de côte à Gaillon et Château-Thierry. Durant toute l'existence de la marque furent publiés des dépliants illustrés et de véritables catalogues, année par année. Là s’ouvre une parenthèse afin de vous présenter M. Jean-Luc Lamouroux qui est une excellente personne. Forcément puisqu’il est abonné à ce blog. Mais surtout, et ce qui nous importe ici, parce qu’il est passionné de Lurquin-Coudert. Depuis de nombreuses années, il a recueilli prospectus, catalogues, photographies, dessins, brevets, publicités de presse et autres documents ainsi qu'un moteur Lurquin-Coudert (ci-contre) qui fera un magnifique dessus de cheminée en attendant de trouver ce qui lui manque. C'est le couronnement d'un énorme travail qui permet aujourd’hui, en réunissant nos connaissances, de présenter un "historique de poche" sur la marque.
Donc, il était une fois...
... un fabricant de cycles établi depuis 1889 au 289 de la rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris. Comme beaucoup, ce M. Lurquin s'intéresse à la motorisation d'une bicyclette et construit une telle machine en 1901. C'est du moins ce qui est présenté comme date dans un catalogue de... 1914, alors que MM. Lurquin & Coudert ne faisaient plus partie de la maison depuis longtemps. Date, donc, sujette à caution jusqu'à plus ample information, car on connaît la facilité avec laquelle les constructeurs de cette époque avaient l'art de jongler avec les dates (un peu comme comme certains collectionneurs d'aujourd'hui...).
C'est ce dessin (58 mm de large !) qui figure dans le catalogue 1914
Associé de Lurquin - depuis quelle année ? - et probablement de caractère plus sportif au vu de sa tenue très cycliste, Charles Coudert va payer de sa personne au cours de 1902, première année où la marque apparaît photographiée pour les gazettes spécialisées (qui, hélas, manquent dans nos archives). Une preuve de cette activité est l'inscription portée par Coudert au bas de la photo ci-dessous : "1902 - Première course de motos au Bois de Boulogne". On ne connaît pas les chiffres des performances réalisées dans cette course organisée le 2 septembre par le journal L'Auto-Vélo en l'honneur du Chah de Perse, passionné d'automobiles. On sait seulement que Osmont y a battu Rigal son éternel rival en tricycles et que Derny a gagné la catégorie des motocyclettes, bien servi par son habituelle Clément bicylindre. Séjournant à Paris du 25 août au 14 septembre, Mozaffer ad-Din Shah en repartira avec dans ses bagages une Serpollet de 50 CV.
On retrouve le nom de L & C dans une épreuve de vitesse en 1902, mais c'est à Deauville dans le km lancé. La marque est même mentionnée par deux fois : dans la catégorie des moins de 30 kilos, Coudert est classé 6 ème avec une vitesse de 29,500 km/h tandis que Lurquin (c'est sa première apparition en compétition) est 13 ème chez les 30-50 kilos avec une moyenne horaire de 41,500 km. Avec ces éléments, on appréciera l'affirmation du catalogue 1904 : "Deauville - deux machines engagées ont couvert le kilomètre dans le même temps, preuve de régularité de marche". Dans les deux catégories citées, les vainqueurs ont réalisé respectivement 72,580 et 83,333 km/h. À propos des Premiers Prix en côte mentionnés dans ce catalogue 1904, à Château-Thierry, le 28 septembre, Coudert a fait deux montées en "moins de 30 kilos" : verdict du chronomètre, 37 et 36,500 km/h mais les troisième et quatrième place, ce qui valait peut-être un prix... Derny, vainqueur de ces moins de 30 kilos sur une Clément avait signé une montée à 57 km/h. Pour la Côte de Gaillon, le classement ne nous est pas connu.
La même photo agrandie, mais la qualité n'en est pas meilleure pour autant (Archives F.-M. Dumas).
Le moteur de construction Lurquin & Coudert est parfaitement conforme à la technique régnante de l'époque : soupape automatique à l'admission et commandée (latérale) à l'échappement. On note néanmoins l'originalité de la commande de l'avance à l'allumage avec ce levier qui se déplace sur un secteur et portant un téton qui se loge dans l'un des trous. Le carburateur à pulvérisation est aussi un progrès. La bicyclette équipée de ce moteur figure dans l'exceptionnelle collection du Musée des Frères Delpech à Bessan (34) où J.-L. Lamouroux a pu la photographier.
Toujours Coudert avec la même machine en octobre 1902, cette fois à la Côte de Gaillon qui existait depuis décembre 1899 : 1000 mètres à 10 %, départ lancé. La présence et la taille du pédalier indiquent que l'appui de la force musculaire n'était pas interdit comme il était d'usage dans les courses sur vélodromes.
Surprise du Salon 1902 en fin d'année où la L & C est exposée en compagnie de 51 autres constructeurs de motos. Elle a désormais le moteur à la "bonne" place. L'exemple des Frères Werner a fait boule de neige. Le moteur ne paraît pas avoir subi de transformations (Dessin "Le Vélo Illustré", numéro du Salon 1902).
1903 : VITESSE ET ENDURANCE
Pas moins de 20 constructeurs différents, dont deux étrangers - Antoine et Minerva, belges tous deux - sont engagés dans le Critérium du 1/4 de litre disputé au vélodrome du Parc des Princes (16 au 20 septembre 1903). Les deux premiers de chacune des six séries de 100 km seront retenus pour la finale. Dans les trois séries qu'il dispute, Mathieu sur Lurquin-Coudert (ci-dessus) est 5ème, 7ème mais aussi 2ème ce qui le qualifie pour la finale. Malheureusement, il y fait un bien plus mauvais temps que précédemment : 2 h 5' 11'' alors qu'il avait signé 1 h 39' 28'' en sixième série. Sans doute victime d'un quelconque incident mécanique, il est avant-dernier des 8 classés de la finale remportée par Mignard sur Georgia Knap en 1h 31' 11'' 2/5. La machine de Mathieu permet de définir ce qu'est l'architecture d'un engin destiné à la compétition : suppression du pédalier remplacé par une lame de fer faisant fonction de repose-pieds, selle reculée sur une potence et guidon court légèrement surbaissé.
Absent à la Côte de Gaillon, Coudert participe au km lancé de Dourdan le 22 octobre. En quart-de-litre, il affronte, entre autres, des Peugeot "officielles" (Momo, Collomb et Lanfranchi), qui ne lui laissent que peu de chances, pas plus à lui qu'aux autres "petits" constructeurs (Moto Cardan, Georgia Knap). Coudert est le dernier des 8 classés en 1' 18'' 4/5 alors que la Peugeot de Momo, le vainqueur a escaladé la côte en 47 secondes... Il était néanmoins courageux de se lancer contre des spécialistes de la vitesse avec une machine à peine dérivée de la série. Lurquin-Coudert s'engage ensuite (ci-dessus avec le pilote Coudert) dans une compétition plus à sa portée car destinée aux machines de tourisme. C'est le Critérium d'endurance du Motocycle Club de France nouvellement créé. Du 10 novembre au dimanche 15, 1000 km sont à parcourir en 6 étapes autour de Paris. Les mauvaises routes et un temps détestable accueillent 36 concurrents qui ne sont plus que 26 au soir de la première étape. Les jours suivants verront cette troupe fondre régulièrement, au point qu'ils ne seront plus que 14 à boucler la dernière étape ! La presse "sportive" (essentiellement La Vie au Grand Air) s'étant désintéressée des résultats, il faut aller chercher ceux-ci dans la très distinguée revue Armes et Sports. Entre compte-rendus de duels, de corridas (!), récit de chasse à courre, réunions hippiques, concours cynophiliques, etc, une demi-page est consacrée aux classés de ces "1000 km pour motocyclettes". En tiers-de-litre, Bonnard sur Werner est premier devant Schweitzer sur une Pécourt. En quart-de-litre, Guillery et Dufaux (Motosacoche) sont ex-œquos. Pas d'autres éclaircissements sur le sort des dix autres arrivés à bon port, dont Coudert sur L & C, ce qui lui vaut ce "Diplôme de 1re classe" mentionné au catalogue 1904, et qui, probablement, fut décerné à tout le monde.
Spécialisés dans les motos anciennes de collection, les Néérlandais de Yesterdays (www.yesterdays.nl) ont vendu récemment plusieurs Lurquin-Coudert dont une de 1904 au moteur parfaitement restauré (ci-contre) comme d'ailleurs toutes les machines qu'ils vendent. Peu de changement par rapport au moteur 1903, sinon la nouvelle sortie de l'échappement dirigée vers le sol. On note aussi la disparition du levier de la commande d'avance à l'allumage désormais simplifiée. Comme il est d'usage, le régime du moteur est modifié par cette commande et non pas en agissant sur le carburateur qui est réglé préalablement.
LES 4 PAGES DU DÉPLIANT 1904
La dernière note de cette page signale une vraie nouveauté qui n'a pas fait long feu (ni école), c'est une béquille centrale, innovation qu'on attendra encore de longues, très longues années. Au passage, Lurquin-Coudert fait un procès rapide des progrès de ses rivaux : la transmission par chaîne et le refroidissement liquide, deux caractéristiques de la Bruneau, sa rivale dans le Critérium de tourisme...
Le 2ème PRIX DE RÉGULARITÉ" au Critérium du 1/4 de litre est plutôt savoureux...
Agrandissement de la machine présentée sur la page précédente.
L & C DANS LA COMPÉTITION EN 1904
Le 22 avril 1904, à 6 h. du matin, l'Autocycle Club donnait le départ à 59 concurrents d'un Paris-Bordeaux et retour avec étapes à Tours, à l'aller comme au retour. Sur des Lurquin-Coudert de 300 cm3 (catégorie tiers-de-litre), sont engagés Coudert et Denis dans cette compétition de régularité sur 1200 km. Pas une promenade de santé pour autant, car dès l'arrivée à Tours, 13 concurrents manquent déjà à l'appel, dont l'un est entré en collision avec un tombereau ! Tout au long des étapes suivantes vont se succéder les abandons et finalement 23 pilotes seulement retrouveront Paris. Tous recevront le Diplôme de Médaille d'or et parmi eux Coudert (ci-dessous) et Denis dont la machine numéro 5 est aussi présentée par Charles Coudert, probablement aux opérations de pesage (photo suivante).
C'est dans cette épreuve que paraît pour la première fois cette machine munie d'un nouveau moteur à soupapes latérales. N'ayant pas connaissance d'un catalogue 1905 ou autre document L & C sur cette année, on ignore si cette latérales a été vraiment commercialisée. En effet elle ne figure pas au programme de 1906, ni dans ceux des années suivantes. Cette année 1906 marque par ailleurs un tournant chez Lurquin-Coudert, qui va passer dans les mains de Ch. Lacour. Dès 1907, la mention "Lurquin-Coudert" est suivie de "Ch Lacour & Cie Successeurs", mais le plus important est que de toutes nouvelles machines sont inscrites au catalogue de 1906.
Le document n'est pas fameux, car repris dans une revue de l'époque, mais il met bien en évidence un moteur différent des précédents à soupape automatique à l'admission.
Encore une bonne photo d'époque de la latérales qui a trouvé au moins un acquéreur. Le montage de son carburateur est différent de celui des "Paris-Bordeaux et, comme il arrivait fréquemment, le silencieux a repris sa liberté...
La même en situation avec un futur motocycliste...
(À suivre)