Se retrouver plus de 40 ans après devant une machine de course qu'on a vue de près en action est un moment d'émotion fort qui remet en route la mécanique à remonter le temps. Lorsque cette "mécanique" peut s'appuyer sur quelques négatifs 24 x 36, c'est encore plus fort. Le moment, c'était à Automédon 2013, la machine, c'est la 350 Yamaha des records battus par Christian Bourgeois à Montlhéry, le 4 décembre 1971. Les négatifs, eux, dormaient dans un tiroir de mon bureau.
Dans son numéro de la semaine précédente, Moto Revue avait annoncé cette tentative de records et quelques centaines d'amateurs ont pris la route - par moins 2° - en ce samedi 4 décembre. La tendance est sportive (guidon à bracelets, petit tête- de-fourche) quel que soit le type de machine. Je crois même me souvenir d'une brave Motoconfort bicylindre en ligne (N4C) en mégaphone et équipée de leviers Tomaselli avec poignée des gaz à tirage rapide. Cette jeunesse n'avait peur de rien !
Vu la température ambiante, les chaussettes de laine sont appréciées, même lorsqu'on est double Champion de France Inters 1971 (250 et 350). On aura reconnu la combinaison Furygan en cuir argenté du pilote, unique exemple d'une couleur de ce genre (?) dans l'histoire de la compétition motocycliste.
Beaucoup de monde autour des machines qui viennent d'être déchargées sur les lieux des départs. Le froid a fait sortir les blanches "doudounes afghanes" en peaux et poils de chêvre, mode de l'époque. De dos Guido Bettiol et, plus loin à droite, la chevelure blonde de Jean-Claude Olivier (Sonauto).
Couvée par Bernard Maingret la 125 Yamaha de records, une ex-usine, avait reçu le racing kit AS3 destiné à être commercialisé l'année suivante. Bien que prêtée par l'importateur Sonauto ce nom, dont on devine les traces, était effacé sur le carénage (?). Derrière le photographe en casquette, Pierre Barret, pas encore directeur (blouson, de dos) de Moto Journal est en conversation avec Bettiol son futur rédacteur-en-chef (qui se frotte l'œil). Une semaine plus tard ayant changé de propriétaire, Moto Journal allait naître sous son nom définitif, après suppression du mot "Auto" qui figurait dans son titre précédent.
La Yamaha 350 préservée par le "Team Gerald Motos" (en couleurs début d'article) est bien conforme à celle des records, ici au premier plan. Seule différence visible, la biellette de réaction du frein avant était rectiligne et non courbe. Cette modification a été apportée dès 1972 sur cette TR2 que C. Bourgeois a utilisée aussi en catégorie 500, avec d'autres cylindres très onéreux et venus du Japon portant la cylindrée à 353,26 cm3. Guido Bettiol est en train d'interroger Christian Maingret pour en savoir un peu plus.
L'artiste dans son habit de lumière devant la tribune de Montlhéry où s'entassent les spectateurs - qui tentent de se réchauffer !
À la fin de la séance, C. Bourgeois avait battu une dizaine de records sur différentes distances allant du 400 m. départ arrêté aux 10 km arrêté. En 125 et 250 les anciens records étaient à Bultaco tandis qu'en 350 ils appartenaient à Georges Monneret (Aermacchi) présent à Montlhéry ce jour-là.
Non, Guido Bettiol ne cherche pas ses clés perdues dans les fissures du circuit, il va seulement se coucher de tout son long sur le béton pour photographier de façon presque "paparazziesque" un départ de Bourgeois. Grosse impression mais pas dans Moto Journal qui ne publiera aucune photo (!) de cette journée dans son reportage (signé Maurice Castadere). Bourgeois y est tout de même à l'honneur dans une longue interview où il expose dans des termes assez iconoclastes ses projets et sa façon de mener sa "carrière". Citations, au hasard : "Je courais pour faire des primes de départ" ou "Le pilote doit être un homme d'affaires". Titre de l'article signé par Bettiol : "Un champion organisé".
Bientôt le départ sur l'anneau pour les 10 km départ arrêté. La 125 Yam (en arrière-plan avec B. Maingret) les couvrira à 3' 54'' 8 soit à 153,321 km/h et la 250 en 3' 20'' 4 (179,640).
Bien que retaillés au plus juste, les carénages réalisés par Philstrat avaient bien du mal à contenir la haute stature de Bourgeois !
Avec la 125, la taille du pilote posait un vrai problème comme on le voit ici. Le personnage en casquette blanche derrière Bourgeois semble être un preneur de son. Ces tentatives auraient-elles laissé des traces à l'I.N.A. car le dimanche suivant C. Bourgeois était interviewé sur la deuxième chaîne de télé ?
Pas de problèmes mécaniques notoires à part des changements complets d'embrayage très sollicités par les départs "canon" sur courtes distances. La 500 Sonauto fut décevante par la faute de rapports de boîte trop longs. Elle fut néanmoins crédité du record sur 400 mètres D.A. en 12'' 8 (112,5 km/h).
D'une pierre deux coups car ces deux passionnés qui se disputent la lecture de L'Équipe sont deux anciens de Moto Revue déjà présentés dans ce blog. Pour ceux qui ont la mémoire courte : Christian Rey, à gauche, a été rédacteur-en-chef de la revue et Christian Constans avait lâché son stylo-moto de la rue de Cléry pour naviguer du côté de France-Soir.
Dans un paysage peu engageant mais sans pluie, les machines reviennent au bercail avec des protagonistes qui vont faire honneur à un buffet réconfortant dressé à La Potinière. De droite à gauche : Bruno Nardini, rédacteur en chef de Moto Revue, Bernard Maingret et son frère Christian, les préparateurs des Yamaha de Bourgeois. Tout à gauche, il pourrait s'agir de Alain, mécanicien chez Sonauto.
En route vers La Potinière avec le sentiment du devoir accompli... en partie car il faudra remettre ça après le déjeuner !
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