Auteur spécialiste de tout en matière de motorisation, le célèbre Louis Baudry de Saunier avait une opinion bien arrêtée sur le cyclecar. Une opinion qu'il savait faire partager à ses semblables, surtout s'ils travaillaient sous ses ordres à la revue Omnia dont il fut un temps le directeur.
Après le Salon 1913 qui s'était tenu en novembre, un certain J. Marsillac publia dans ladite revue la suite d'un article dont la première partie avait paru en... février de la même année. Cela situe déjà le niveau d'intérêt que Omnia portait à ces véhicules. Farouche défenseur de la position côte à côte du chauffeur et de son passager, J. Marcillac n'hésitait pas à qualifier la Bédélia de "cyclecar de type primitif", tout comme sa rivale la Super. À ses yeux, le cyclecar était "quelque chose de transitoire entre la moto avec sidecar et la voiturette", or, ajoutait-il "nous ne sommes pas bien certain qu'entre ces deux types de véhicules il y ait place pour un troisième". La guerre interrompra les polémiques sur le sujet, mais cet engin "qui ne saurait avoir d'avenir" (dixit Omnia) renaîtra dès 1920, et il ne faudra pas moins d'une deuxième guerre pour l'enterrer (définitivement ? peut-être pas tout à fait...).
La Super (photo 2) comme la Bédélia est née par deux fois de deux papas. D'abord les Frères Lévêque (5, rue des Cerisiers à Asnières - Seine) puis MM. H. Godefroy et Lévêque (38, rue Raspail à Levallois - Seine). Mais H. Godefroy (63, rue de Gravel à Levallois- Perret) n'en était pas à son coup d'essai, ayant déjà signé au début de 1912 (peut-être avant) une voiturette Ruby disponible en 6, 7 et 10 HP. Vendues sous forme de châssis, et sans pneumatiques, leur prix s'échelonnait de 2 400 F à 4 600 F, soit un prix de départ qui frôlait celui du plus cher des cyclecars.
La démonstration de J. Marcillac était illustrée par ces deux photos juxtaposées afin d'appuyer son opinion. Ce qui permet un comparaison faisant bien ressortir leurs différences. La première qui saute aux yeux est la position des deux occupants. La Super a abandonné ainsi l'une des principales originalités de la Bédélia, laquelle s'était justifiée de façon peu convaincante par une meilleure répartition des masses : le chauffeur sur l'essieu arrière, le moteur sur l'essieu avant. On ne voit pas vraiment en quoi la Super serait "déséquilibrée", elle qui possède d'autres caractéristiques moins visibles mais bien plus fondamentales.
COMMENT ÇA MARCHE
Dans un premier temps (1912-1913 ? selon un catalogue non daté) son sytème de transmission est identique à celui de la Bédélia : moteur - chaîne - poulies - courroies I et J - poulies-jantes G et H. Plus tard, la chaîne "primaire" sera remplacée par un arbre B avec "pignons d'angle" (différentiel ?), le reste étant identique. Les poulies C et D de l'arbre transversal intermédiaire sont de type variable, ce qui permet d'annoncer "7 vitesses et point mort", lesquelles sont obtenues conjointement par déplacement de l'essieu arrière, idem Bédélia. Sûr de sa formule, Super affirmait que sa voiturette "marche très bien avec une seule courroie et qu'il n'est pas besoin que les deux courroies soient rigoureusement de même longueur". S'il le dit c'est que c'est vrai.
COMMENT C'EST FAIT.
La "charronnerie se retrouve dans le châssis réalisé à base de longerons de frêne convenablement cintrés à la vapeur et renforcés d'entretoises métalliques. Du métal encore pour l'habillage de l'habitacle ce qui n'alourdit pas la Super qui reste en dessous des 200 kg avec le moteur monocylindre et 220 kg avec le bicylindre. Le surcroît de poids s'explique par le refroidissement à eau des deux types de moteur nécessitant un radiateur mais sans pompe à eau remplacée par la magie du thermo-siphon. On n'oublie pas non plus deux freins à tambour sur les roues arrière. Ils renforcent l'action des patins fixés au châssis sur lesquels viennent frotter les poulies-jantes en fin de déplacement de l'essieu (voir Bédélia). La Super n'utilise pas la "cheville ouvrière" de direction plaisamment qualifiée de "direction à la ficelle" et adoptée par beaucoup de ses concurrentes. Elle dispose d'une structure plus élaborée qui ressemble à celle qu'utilise le Morgan britannique, excepté le ressort cantilever transversal.
L'explication de son fonctionnement dans le catalogue ne manque pas de saveur, de même que celle de la suspension. Je les livre in extenso car j'ignore en langage automobile le nom des pièces en question : "La direction est irréversible à vis sans fin et secteur enfermés dans un carter (...). La suspension avant est à ressort transversal et à pieds coulissants. Les pivots en acier nickel cémenté trempé coulissent dans des douilles en bronze phosphoreux spécial. Ces douilles sont interchangeables et facilement remplaçables en cas d'usure". M'est avis que le dessin aurait été suffisant...
Le démarrage du moteur s'effectue par une manivelle directement sur le moteur à l'avant du cyclecar. Le réservoir placé loin du moteur afin d'éviter un risque d'incendie était l'une des revendications originales de la Super (par rapport à Bédélia, of course). Cependant on ne connaît pas l'avis du passager qui n'appréciait peut-être pas d'avoir cet accessoire peu odorant et suintant sous son nez !
Les moteurs de la Super proviennent tous les deux de chez Alessandro Anzani, grand pourvoyeur apprécié de nombreux constructeurs. Ils peuvent faire leur marché dans un catalogue riche de dizaines de monos, bicylindres (le trois cylindres était une exception), quatre cylindres et plus pour l'aviation ou la marine de plaisance.
Un monocylindre de 5 HP (85 mm x 95) équipe la Super Type AB ci-dessus, vendue pour 50 km/h. Soupape automatique de rigueur à l'admission.
Pour quelques centaines de francs supplémentaires (mais en 1912, un franc c'est une somme !), Super propose la B2 9 HP dont le moteur est un bicylindre en V serré à 30°, signé Anzani toujours, et monté transversalement. C'est un 1000 cm3 (72 mm x 120) à admission par soupape(s) automatique(s) et allumage magnéto comme le mono..
Avec ce bicylindre, la Super B2 emportait gaillardement pilote et passager à des 80 kilomètres à l'heure !
Précision intéressante fournie par le catalogue : "Un seul écrou fixe la magnéto, ce qui facilite le démontage". Sur le mono Anzani, cette magnéto est entraînée par chaîne alors que sur le bi en V un "toc spécial" prend son mouvement par les pignons de distribution.
La Super en l'inévitable version Livraisons est construite sur une base de AB (5 HP mono) dotée d'une carrosserie spéciale, Ô combien !
Les Super sont plus "perfectionnées" que les Bédélia mais aussi nettement plus chères. Les 2 300 F de la mono, première machine proposée correspondent au prix de la plus chère des Bédélia. À 2 500 F, la bicylindre atteint déjà les tarifs des "voiturettes". Si l'amateur voulait corser la note, Super ne lui proposait pas moins de 13 options allant de la manette de gaz sur le volant au pare-brise (70 F) en passant par les « accotoirs rembourrés à la carrosserie ». La capote était facturée 100 F ou 120 "avec joues et regards mica". Néanmoins, afin d’atténuer la douloureuse, Super offrait gatuitement aux éventuels acheteurs « un petit apprentissage d’une ou deux leçons pour se mettre au courant du maniement de nos voitures ». Avec cependant un bémol : « Ils sont responsables des accidents ou avaries provenant du fait de leur apprentissage »…
À la fin de son article d'Omnia, J. Marcillac accordait aux Bédélia, Super et autres "cyclecars primitifs" d'avoir été les premiers à qui l'on doit "d'avoir incité les constructeurs à tourner leurs regards vers la toute petite voiture". C'était mieux que rien...
Vu sur le ouèbe cette Super exposée dans un musée allemand.
QUELQUES IMITATIONS OU TRANSFORMATIONS
Un avant qui ressemble furieusement à celui d'une Bédélia, mais le pilote est installé au milieu comme sur la Super !
Encore un avant de Bédélia avec la "cheville" bien visible de même que le réservoir surplombant le moteur, mais le reste n'a rien à voir, pas même avec la Super... La pièce en "U" qui entoure les deux brins de la courroie au long de la carrosserie (et qui doit avoir sa semblable sur le flanc gauche) permettait de choisir en roulant l'une ou l'autre des poulies-moteur qui étaient accolées.
Plus longue encore qu'une Bédélia, la Dupuy semble donner une interprétation personnelle de son modèle (Cliché Delcampe).
Jouve & Cie étaient les importateurs parisiens de nombreux accessoires d'origine anglaises dont les fameux sidecars Mills & Fullford. Leur cyclecar, équipé d'un JAP latéral en V de 8 HP pourrait bien être tout simplement une production venue d'Outre-Manche.
Un lecteur de La France Automobile avait réalisé en 1913 son propre cyclecar motorisé par un Anzani bicylindre qui ne manquait pas d'allure.
Exposée au Salon de Paris en 1913, cette "La Torpille" est semble-t'il le seul cyclecar français à trois roues de son époque. On n'en sait rien de plus puisque Omnia qui publia ce document n'en disait rien de plus.
En conclusion de son article dans Omnia, J. Marcillac présentait le cyclecar selon son cœur. C'est l'Ajax dont les deux places sont côte-à-côte suivaient ses préconisations. Du cyclecar il avait les quatre roues légères et une transmission/changement de vitesse par plateau de friction. Mais avec son moteur 4 cylindres 1000 cm3 (57 mm x 96) et un encombrement important, larges marche-pieds et coffre, il dérivait franchement vers la voiturette. Son constructeur annonçait une production "en grandes séries" au prix de 2 200 F. On n'en a plus jamais parlé...
(Prochain article : La Violette de Marcel Violet, l'électron libre)
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