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La moto dans la Première guerre 1914-1918 (3 ème partie)

Ce troisième article est la version, revue et augmentée, de la partie consacrée à cette période dans mon livre désormais épuisé "La Motocyclette en France 1914 - 1921"

Estafette-Carte-sepia.jpgLe Kaiser avait promis une guerre "fraîche et joyeuse... On pouvait la voir ainsi, surtout sur carte postale (datée de 1915), ci-dessus, ou encore ainsi, ci-dessous...

xavier-sager-Paris-pendant-la-guerre-4-via-postaisantigos-i.jpg... où Xavier Sager, illustrateur spécialiste des p'tites femmes légères, présente à sa façon le retour du permissionnaire. Une réalité pas toujours aussi rose.

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À la fin de l'article précédent (05/01/2014), un motocycliste racontait comment il avait été "sonné" par le départ d'un coup de canon. Pour le soldat, tous les bruits du front sont porteurs de menaces et celui de l'artillerie est un vacarme toujours présent. Dans « Le Feu », le terrible livre-témoignage d’Henri Barbusse, tous ces sons sont évoqués avec une composante inattendue :

«  - Le moulin à café ! Un des nôtres, écoute voir : les coups sont réguliers tandis que ceux boches n’ont pas le même temps entre les coups; ils font : tac... tac-tac-tac... tac-tac... tac...

- Tu te goures, fil à trous ! C’est pas la machine à découdre : c’est une motocyclette qui radine sur le chemin de l’Abri 31, tout là-bas ».

James belge en embuscade"Estafette belge en embuscade", telle est le légende de cette carte postale. Le photographe a reconstitué une scène plausible... en temps de paix. La machine semble être une James, anglaise monocyclindre à soupapes latérales et remarquable par son carter de chaîne secondaire étanche.  

Douglas en patrouille218Autre carte postale et autre mise en scène réaliste, cette fois avec une Douglas (peut-être celle du photographe ?). On constate que la "cavalerie d'acier" chère aux stratèges en chambre faisait aussi appel aux cyclistes.

Terrot-25851-casque-a-pointe-copy-213.jpgDocument rare sur une moto rare puisqu'il s'agit de la Motorette Terrot née quelques mois avant le conflit. C'est une 500 à moteur M.A.G. semi-culbuté (admission par culbuteurs, échappement latéral), transmission par courroie directe, suspension avant de type pendulaire. Sur le guidon, son pilote a posé sa prise de guerre : un casque à pointe allemand... Pour identification : le numéro lisible sur le réservoir est 25 851.

Magnat-Debon-solo-bicyl-copy216.jpgConsidérée comme une machine sportive, cette 500 Magnat-Debon à soupapes en tête n'a pas échappé à la réquisition comme en témoigne son numéro militaire (le dernier chiffre a peut-être été effacé). La position du pilote et le guidon étroit ne devaient pas favoriser les évolutions en "terrain varié".

Moto-Reve-copy.jpgBien que rare et délicate par sa distribution "qualité suisse", cette bicylindre Moto Rêve semi-culbutée est aussi de service armé, sans doute avec son propriétaire.

  Chaque mission comporte ses propres dangers, ainsi de l’accompagnement des colonnes de camions de ravitaillement. À l’époque il n'est pas question de liaison-radio entre les véhicules, c’est donc le motocycliste qui assure cette fonction. L’un d’eux raconte :

« CONVOYEUR »

« Depuis huit jours, il pleuvait sans répit, comme si le ciel était d’accord avec les boches pour nous rendre infernale cette préparation d’offensive. Couverts de boue, de la semelle de nos souliers au cimier de notre casque, alourdis dans nos cuirs roides et le flanc battu par notre revolver rouillé, nous roulions sans répit dans la boue liquide où plongeaient voluptueusement nos silencieux crevés. C’était la « flotte » avec toute l’horreur que ce mot inspire au soldat. Naturellement, nos camarades des camions restaient de temps en temps enlisés dans les fossés avec quelques tonnes de ferraille ou d’explosifs. Heureux encore quand tout se passait sans dégâts, ce qui n’était pas toujours le cas au grand dam des dépanneurs qui ne savaient plus où donner de la tête. En conséquence, il nous fallut, en plus des messages diurnes et nocturnes, assurer le convoyage des ravitaillements en munitions en concurrence avec les « touristes » de l’échelon, chose peu agréable et souvent très dangereuse, vu la maladresse deCyclistes masqués J'ai Vu 300Le reporter de la revue "J'ai vu" a ... vu ce motard masqué (contre les gaz) partant sur sa Douglas "... à travers la mitraille, semblable à un monstre de l'Apocalypse" !

 certains chauffeurs et les fausses manoeuvres, assez fréquentes dans la nuit. Ce jour-là donc, c’était mon tour de faire le chien de garde le long des cinquante Peugeot du 1er Groupe du N...ième R.A.L. qui allaient charger à Bazoches pour gagner de nuit notre position de Brenelle. Aussi, un pied à terre et l’autre sur mon kick, j’attendais le coup de sifflet du capitaine chef de convoi. Il retentit, les moteurs grondèrent et le long serpent s’ébranla.

« Métier de chien que faire le chien par un temps de chien avec des vieilles badernes qui n’y connaissent rien. Vraiment quelle barbe que ce va-et-vient le long d’un convoi de deux kilomètres, mais aussi quelle école de manoeuvre avec ces interminables zig-zag au ras des quatre tonnes qui vous frôlent de leurs ailes mortelles et vous rappellent qu’en convoi toute fausse manoeuvre est passible d’écrasement !

« Enfin on roulait et, en dépit du tango, les bornes kilométriques se succédaient et nous rapprochaient du parc (...) le chargement commença (...). Trois heures plus tard, les moteurs grondaient de nouveau et le long serpent s’ébranlait, mais cette fois vers l’horizon rouge où flamboyaient canons et fusées. Arriverait-on intacts ou bien, averti par ce ronflement insolite, l’ennemi nous prendrait-il sous les rafales sinistres de ses canons lourds.

Moto-et-camions-copy211.jpgOn comprend pourquoi le motocycliste (ici sur une Triumph) se sentait de peu d'importance dans ses évolutions au milieu des colonnes de tels camions (Marque ? Tonnage ?).

BSA---TRiumph-groupe-copy-220.jpgBelle brochette de "motars culottés", tous montés sur des machines anglaises. De gauche à droite : deux Triumph, une BSA, une Triumph et encore deux BSA. L'équipement des machines est varié (éclairage, sacoches, etc) mais beaucoup moins que celui des pilotes. Dans l'action, l'efficacité passe avant le respect des réglements appris dans les manuels. 

" Moins on est, meilleur c’est ; aussi était-ce peu réjouissant d’être cinquante-cinq véhicules ensemble (...). Ce n’est pas sans émotion que le convoi approchait du passage à niveau de Braisne. ZZ... boum ! un 105 vient de s’abattre à 10 mètres de la route, à la hauteur du 32e camion, un deuxième suit, court, puis un troisième en tête du convoi et un quatrième 100 mètres derrière nous.

Mais pourquoi diable s’arrête-t-on au lieu d’accélérer, notre abruti de capitaine a-t-il juré de nous faire casser la g..... Ma foi, je pousse jusqu’en tête voir ce qui se passe. Heureuse idée qui me sauve la vie car j’ai à peine démarré que le camion de queue, dont les servants ont sauté et sont à plat ventre quelque part par là, reçoit un 150 sur une roue et s’abat.

« J’arrive haletant en tête et trouve les chauffeurs en train de passer outre et de fuir, de fuir à plein moteur vers l’avant, vers les batteries qui attendent notre chargement. Vrai, notre piston [Ndlr : capiston = capitaine] de 60 ans n’est pas fort, faire arrêter un convoi sous un bombardement quand on attend après, c’est le comble de l’incohérence. Enfin quoi, il a voulu crâner, mais d’une drôle de façon

Peugeot---officier-copy-215.jpgAucun rapport avec la "baderne" dont il est question dans le texte, mais l'on constate que dès que le militaire photographié a un galon, même modeste, sa moto (Peugeot)  est curieusement plus présentable. Un gradé est tenu de montrer l'exemple... 

car il importe d’arriver et non de recevoir des marmites, même au point mort. Du coup, je fais volte face. Ma place désormais est en queue et il faut savoir s’il y a plus de casse là-bas, mais voilà le 45... il me hèle : « Dis donc moto, on avance mais le lieutenant te cherche, il y a de la casse derrière. Hélas ! c’est vrai, en plus du 50 qui gît là, épave désormais inerte, le 47 et le 49 sont criblés d’éclats, réservoirs, radiateur, carter sont percés à jour. Le 48 est embourbé, c’est la débâcle et ces cochons de boches qui tirent toujours, mais par bonheur franchement long.

« Sur l’ordre du lieutenant, les rescapés des camions touchés grimpent sur le 46. Mais qu’est-ce ? X... et Z... laissent une traînée. Horreur! du sang, du sang qui suinte des manches de cuir, puis deux cris, ils sont touchés l’un à l’épaule, l’autre à la main et aucun ne s’en était encore aperçu ! Mais on a des pansements et l’ambulance de Braisne est proche. En avant le 46, on les aura... 

 « On a ravitaillé sans accroc, mais la vieille baderne de 60 ans a démissionné. Les convois se sont réduits à 5 camions et, à notre grande joie, nous avons repris nos liaisons cessant, sans aucun regret, de faire le petit chien le long de pareilles cibles ambulantes.           Avril 1917 - Un motar culotté ».Mercure-et-Hebe-Routier.jpg

 

 

 

 

Messager des dieux dans la mythologie romaine, ce Mercure motocycliste au casque ailé trouve un peu de réconfort liquide auprès de Hébé symbole de l'éternelle jeunesse (Version iconoclaste de l'humoriste Jean Routier dans la revue "Automobilia").

Triumph & BSA campagne copy214Seuls dans une plaine immense, deux estafettes anglaises, sur une Triumph au premier plan, l'autre sur une BSA. 

   D’autres ne s’en tireront pas aussi bien. Des années plus tard leur souvenir ressurgira de façon obsessionnelle, par exemple, sous la plume du romancier et homme de théatre Francis de Croisset qui témoigne :

« ... Soudain, un échappement libre et des pétarades retentissent. La porte s’ouvre, c’est le capitaine Hollicot qui, dans toute sa gloire, apparaît. [...]. - Vous sais, me dit-il, je suis le second motocyclette qui ait roulé dans la jungle. La première était un peintre hollandais qui s’est tué contre une grosse camélia. Et vous sais... Mais je ne l’écoute plus. Un brusque malaise m’envahit. Motocyclette... Tué... Ces deux mots, prononcés par ce clair garçon en kaki me rejettent dix ans en arrière. En vain, je me raidis contre mes souvenirs, contre l’absurde idée d’évoquer [...] un ciel glacé et la guerre.

« La vision s’obstine, l’emporte, et la route boueuse vient sur moi, avec ses arbres au fusain, la route défoncée que sillonnent sur leurs motocyclettes, tant de jeunes Hollicot qui rient et que personne ne devait revoir. L’un d’eux, devant Dieckebush, écrasé à côté de sa machine et qui, le ventre labouré nous disait, à nous qui le ramassions : Je suis désolé de vous donner tant de mal. Et dont ce fut la dernière phrase.

De chics garçons, tout de même, ces garçons-là !... ». (Extrait de « La Féerie cinghalaise. 1928 »).

Wanderer-1914-Autriche-copy198.jpgAu 1er août 1914, les armées du Kaiser auraient compté plus de 4000 motos dont des NSU et des Wanderer dont celle-ci. On voit combien la moto ajoutait au prestige de l'uniforme car, au dos de cette carte-photo, l'officier autrichien Hans écrivait de bonnes choses à Fraulein Greti Gall, qui habitait à Vienne.

Wanderer-catalogue-copy-1912222.jpgTrès proche de celle de notre ami Hans, la 3 HP Wanderer du catalogue 1912 distribuée en France par Hugo Storr. Elle était déjà d'une technique avancée : distribution semi-culbutée, allumage magnéto, poulie motrice avec variateur, fourche avant à roue poussée sur courtes biellettes et suspension arrière type "cantilever" dont les ressorts sont dissimulés dans la triangulation arrière.

NSU-Saint-Amand-copy221.jpgDépart en mission d'une section motocycliste allemande équipée de cinq NSU et d'une Wanderer, au fond. La scène se passe à Saint-Amand-les-Eaux (Nord) dont on distingue la tour abbatiale dans le coin supérieur gauche de la photo. Le magasin à l'angle, une fabrique de chapeaux, est devenu le Bureau de logement (Quartier-Amt).

(À suivre)

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Z
Merci du compliment !
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G
Bravo pour ce site
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G
http://www.forumcivique.org/fr/articles/suisse-le-collectif-de-la-bourdache-r%C3%A9siste-toujours<br /> <br /> Ouf !!!! ne voyant plus rien venir, j'ai pendant un moment eu des sueurs froides , !!!!
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Z
<br /> <br /> ... meuh non, juste un p'tit coup de mou et ça repart !<br /> <br /> <br /> <br />