Au nom d'une vieille amitié, le coureur-préparateur Hector Andreino avait donné à son ami le journaliste René Vaÿsse une longue interview dont voici la suite (voir les articles précédents des 19 et 25 avril 2013).
René Vaÿsse : Vous avez aussi travaillé pour Terrot ?
HECTOR ANDREINO : La marque dijonnaise avait alors une équipe officielle et elle prenait part à un grand nombre d'épreuves nationales et internationales. Un jour, le regretté Vurpillot, alors directeur de la firme, me confia une 500 d'usine en me disant : "Tenez, voyez-donc ce que vous pouvez faire avec ça ! "Ça", c'était une machine de vitesse qui triomphait souvent dans de grandes épreuves, avait une vitesse de pointe de 170 km/h et avait été spécialement conçue pour la compétition par des techniciens beaucoup plus savants et qualifiés que moi. Néanmoins, devant l'insistance de M. Vurpillot, je pris la machine et je me mis à l'étudier comme je faisais d'habitude. Quelques mois plus tard, pilotant cette Terrot, je gagnais un "kilomètre lancé" à 193 km/h" On ne connaît pas de photo d'Andreino avec une Clément à moteur Terrot et dans les résultats des épreuves, les revues ne mentionnent pas toujours très exactement la marque des machines. Ainsi, concernant Andreino, la mention "Clément-Terrot" n'apparaît qu'en 1935, dernière année où sa présence en compétition est signalée. Jusqu'en 1934, sa 500 était équipée d'un JAP comme ici au km lancé de Montlhéry le 14 octobre sur une portion du routier. Avec 127,118 km/h, il se classera 2ème derrière Lieutaud sur Monet-Goyon à arbre à cames en tête (135,593 km/h). Roue arrière flasquée et petit "tête de fourche" témoignent de ses recherches vers l'aérodynamique dont il est question ci-après. À droite, on aura reconnu les culottes de golf d'Eugène Mauve, organisateur de ce km lancé chronométré électriquement si l'on en croit le fil tendu devant la roue d'Andreino.
Comme à son habitude, Andreino pèchait par modestie en parlant de la vitesse maximum qu'il avait atteinte avec sa Terrot au km lancé de Nantes en 1935, le chiffre est très exactement de 193,548 km/h. À l'époque, il s'était rendu à Moto Revue peu de temps après et il avait raconté avec précision les circonstances de son exploit en ces termes : "C’est au cours de ce kilomètre que j’ai réalisé la vitesse la plus élevée que j’aie jamais atteinte en moto. En effet le vent était si violent que s’il nous freinait énormémement dans un sens, il nous avantageait dans l’autre. C’est ainsi que je réalisai un kilomètre en 18’’ 3/5 à 193,548, gagnant la prime spéciale allouée au concurrent faisant le meilleur passage. À cette vitesse et (avec) une multiplication de 4 à 1 (roues de 25) le moteur tournait à 6 800 tours. Dans le sens opposé, le régime baissait de presque 800 tours… faites le calcul ! »
Voici la machine avec laquelle Andreino a atteint 181,836 km/h. C'était le 29 avril 1934 au kilomètre lancé de Nantes dont il est question ci-dessus. Sa performance sur sa 250 Clément-JAP n'était pas moins remarquable : 149,265 km/h !
QUESTION DE RENÉ VAŸSSE QUI REVIENT AUX TERROT - J'ai entendu dire que vous tourniez à 190 aux essais à Montlhéry. Mais comment aviez-vous réussi à gagner plus de 20 km sur une telle machine ? (NdA : la Terrot 500 RCP).
HECTOR ANDREINO - Je n'ai fait que la mettre au point sans rien changer aux réglages de la distribution. Elle comportait déja un arbre à cames spécial compétition avec un important croisement et il ne m'appartenait pas de le modifier. D'ailleurs c'est un problème auquel je ne me suis jamais attaqué car un amateur ne peut pas, avec des moyens techniques et financiers forcément réduits, réaliser tous les essais et étudier toutes les solutions possibles. Seuls de puissants groupes peuvent se le permettre.
Comme toutes les "Berceuses", celles d'Andreino ont une fourche construites avec des tubes particulièrement fins. Le "plat-ventre" du pilote très étudié est facilité par un "réservoir" aux angles vifs et qui ressemble plutôt à un habillage du vrai réservoir détaillé dans les deux dessins ci-dessous.
Andreino a poussé au maximum ses recherches et il ne reste plus grand chose de la Clément des origines, hormis l'essentiel : la suspension arrière ! En mars 1934, sur l'autodrome de Montlhéry il a été vu au guidon d'une Clément-JAP sans suspension arrière, mais l'essai resta sans suite.
HECTOR ANDREINO - J'ajoute que ce petit succès me valut une grosse satisfaction personnelle : M. Vurpillot me demanda par la suite de mettre au point les moteurs équipant les machines de l'équipe officielle Terrot. Pour ce travail, ce n'est pas moi qui réalisai les essais, mais chaque coureur pilota sa propre machine et j'effectuai les réglages en tenant compte du poids du conducteur, de sa façon de conduire, de sa position sur la machine, etc... C'est à ce moment que me vint l'idée de faire un carénage. Je dessinai un projet, je fis une maquette et je la soumis au jugement de techniciens de l'aéronautique. Après quelques retouches, j'avais sur le papier un carénage pour moto de compétition semblable en bien des points à ceux qu'on utilise aujourd'hui dans les tentatives de records. M. Vurpillot ne voulut pas donner suite à cette idée en raison du "danger mortel " - disait-il - que présente une telle machine pour celui qui la pilote. Il n'avait pas tout à fait tort... Il m'autorisa néanmoins à faire de petits capotages de la tête de fourche et à flasquer la roue arrière pour les courses de faibles distances".
Le dessin ci-dessus est (jusqu'à plus ample informé) le seul qui existe d'une Clément-Berceuse avec le moteur Terrot 500 RCP dit "4 paliers". Ce surnom venait du roulement supplémentaire logé, à l'extérieur du pignon de sortie-moteur, dans le carter rond à 6 boulons. Un autre roulement, extérieur lui aussi, était installé du côté de la distribution. Ceci dans le but de limiter les efforts de flexion sur l'embiellage. En fait on aurait dû parler de "5 paliers" puisqu'il y en deux côte à côte dans le demi-carter gauche. Avec ce moteur Andreino fut 1er en 1935 à la côte de Château-Thierry où elle apparut pour la première fois. Andreino grimpa à 100,558 km/h, battant la Norton ACT de Boura (Dessin Moto Revue du 20 avril 1935).
La "Berceuse Andreino" italo-française
Avec 13 places de premier et une demi-douzaine de places de second acquises jusqu'en 1932 en courses de côtes, circuits de vitesse, kilomètres lancés ou en endurance, Andreino pouvait s'estimer satisfait des JAP 250 plus ou moins "Racing" qui équipaient sa machine. Mais l'irruption aux mains de pilotes français de motos anglaises ou italiennes avec des simples ACT (Excelsior, Guzzi) ou 4 soupapes (Rudge), sans parler des ACT de Monet-Goyon/Koehler-Escoffier l'incitèrent à l'escalade. C'est chez Guzzi qu'en 1933 il trouva son bonheur avec une 250 simple arbre intéressante à caser dans la partie-cycle Clément à cause de son bloc-moteur qui simplifiait le problème de l'emplacement de la boîte à vitesses.
Entre avril et mai 1933, Andreino récolte quatre places de premier avec sa nouvelle monture. Il a commencé sa mise forme en participant à la conquête de 10 records mondiaux en compagnie de Louis Jeannin et Marcel Perrin sur une 350 Jonghi... à soupapes latérales ! Sa Berceuse à moteur Guzzi 250 SS est construite selon les principes de la Berceuse "classique" mais avec des variantes importantes. Outre la transmission finale reportée du côté droit, le cadre double-berceau en deux parties n'est plus en barres d'acier (sans doute trop lourdes). La géométrie de l'oscillante arrière est plus ramassée, quoique toujours du système cantilever.
Malgré toutes les qualités du moteur italien, Andreino revient au JAP l'année suivante. Sa Clément-Guzzi est désormais dans les mains de Jean Roulin, un "amateur" parisien qui deviendra assez vite "professionnel" en passant à la 500 cm3. L'énorme réservoir semble prévu pour une épreuve de longue distance (records ?) alors que ce qui sert de selle montre bien qu'Andreino faisait toute confiance au caractère confortablement "berceur" de sa moto.
Jean Roulin, ici à Montlhéry dont on reconnait facilement les pilotis sur lesquels est construit l'anneau (Archives Zhumoriste.over-blog.com)
Le nom de l'épreuve n'est pas connu alors que celui de la machine est "Clément Guzzi", visible sur le réservoir qui a retrouvé des dimensions plus normales. Plus "normale" également est la position du guidon, moins "record" que pour Andreino.
Jean Roulin a eu les honneurs de la fameuse "photo ronde" de la couverture de Moto Revue.
La Berceuse reçut un autre moteur d'origine italienne, un bicylindre deux-temps Garelli dont la presse souligna l'esthétique tourmentée. Dans ce cas, il ne s'agissait pas d'une machine de compétition mais d'une routière engagée par Bruscoli dans Paris-Les Pyrénées-Paris en 1930.
Si l'esthétique de la Spéciale-Bruscoli se discute, que penser de celle de la Berceuse, version originale, certes, mais qui perdait beaucoup de son "charisme" avec un JAP latéral. Néanmoins, si vous en avez une dont vous voulez vous débarrasser, vous savez comment me prévenir...
La tardive Terrot
Le 7 avril 1935, Andreino est à la côte de Château-Thierry et, comme à son habitude il remporte la victoire en 250 à la moyenne de 96,956 km. Il gagne également en 500 avec 113,207 km/h (record battu), ce qui est déjà une belle performance, mais le plus important est qu'il est enregistré sur une... Clément-Terrot pour la première fois. Quelques semaines après Moto Revue publie le dessin du moteur Terrot RCP visible plus haut. Avec sa 500, Andreino a terminé à 2/5 de seconde du temps de Georges Monneret sur la 1000 Koehler-Escoffier qui n'était sans doute pas toujours facile à maîtriser... C'est encore sur des Clément-Terrot qu'il réédite ses victoires le 21 avril au kilomètre lancé de Nantes avec 153,846 km/h en 250 et 180 km/h tout rond en 500.(... et 193, comme déjà dit). Suivent deux victoires dans le km départ arrêté, dans les deux sens, le 5 mai à Montlhéry. Là il est revenu à son JAP en 250 (32'' 25/100) mais a conservé son Terrot en 500 (27'' 58/100). Il n'apparaît plus ensuite dans les résultats des événements sportifs qui se raréfient au fil des semaines, des mois puis des années...
Les lecteurs deMoto Revue ne sauront jamais rien de la collaboration d'Andreino avec Terrot. Cette collaboration, la "revue rouge" l’avait laissée entrevoir dès juillet 1935 dans un écho allusif réunissant Andreino, Terrot et "une machine à suspension arrière", mais il n'y aura rien de plus par la suite. Celle qui apparaît dans ce dessin de Daniel Rebour publié en septembre 1936 par Sidecar Revue (1), est sans doute différente, mais elle est bien une réponse aux problèmes
qu’Andreino soulevait dans un article de janvier 35 publié par Moto Revue et sobrement intitulé « Tenue de route ». Après avoir fait part de ses observations sur l’impossibilté de tirer le maximum de certaines puissantes machines de course (en particulier sur l’anneau de Montlhéry, terrain d’essais de tous les champions de l’époque), il concluait : "À mon avis (…) il y a deux méthodes pour progresser dans la voie de la vitesse sans trop de risques : créér ou choisir des pistes idéalement planes sur lesquelles des machines de tenue de route médiocre se trouveront tout de même à l’aise. C’est la méthode actuelle."
"Pour l’avenir, améliorer la tenue de route par modification de la construction classique du cadre et particulièrement par l’étude méticuleuse des suspensions avant et arrière. Je suis persuadé que c’est dans ce sens qu’il faut chercher (…)"
Problème récurrent des machines actuelles de compétition (surtout), leur tenue de route n'arrive toujours pas à rendre justice à la puissance toujours plus grande des moteurs. Pour preuve les multiples recherches menées par des ingénieurs privés en plus de celles, permanentes, des usines. Dans le passé, on se souviendra qu'à son arrivée chez Gilera, Geoff Duke, multiple champion sur Norton, fit effectuer des changements radicaux sur la partie-cyle de la 4 cylindres italienne en "s'inspirant" de son expérience du mono anglais. Plus près de nous, Hailwood lui-même lors de son premier essai de la prestigieuse Honda 6 ne mâcha pas ses mots pour dire ce qu'il pensait de la tenue de route de cette machine. Pour résoudre le problème, il fut même importé au Japon une moto de course anglaise afin de la disséquer. Cette moto était une Norton Manx...
(1) Ce mensuel grand format et très fragile, lancé dans la foulée de l'immense espoir populaire suscité par Juin 36 accueillit un transfuge de Moto Revue, le dessinateur Daniel Rebour. C'est à lui qu'on doit ces deux dessins et quantité d'autres sur l'actualité motocycliste parus dans Sidecar Revue dont l'existence fut malheureusement très brève (deux douzaines de numéros ?).
Impossible de situer ou de dater cette photo de ce qui est probablement un circuit important à en juger par l'installation des stands. Sur la banderole en arrière-plan on lit "Roues Métalliques Rudge - rue M...au à Mont..."
1949 : LA RÉSURRECTION !
Longtemps importateur français des moteurs JAP et autres fournitures britanniques, les Ets Moto-Comptoir avaient découvert après la guerre une niche de motos Clément. En septembre 1949, elles furent proposées complètes et équipées au choix d'un JAP latéral 250 ou 350 cm3 à 60 000 F pièce. Pour 80 000 F elles étaient accompagnées d'un moteur JAP latéral neuf (250 ou 350) et d'une boîte Sturmey-Archer neuve.
En avril de l'année suivante, 1950, la machine seule, cylindrée au choix, était proposée (annonce dans la revue Motocycles ci-dessus) à 60 000 F, mais elles devaient "coller aux pattes" de Moto-Comptoir, bien qu'il n'en resta plus qu'en "quantités limitées", selon l'annonce. Quelques mois plus tard, elles finiront par être soldées à 35 000 F... le prix d'une Mobylette.
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