Eve n'ayant toujours pas fixé son choix, c'est donc Clément-Gladiator, après Austral puis B.C.R., que lui propose maintenant Saint-Martin Automobiles dans son catalogue 1929. Clément, l'une de nos plus anciennes marques motocyclistes avait cessé sa production de deux-roues motorisés pendant la Première guerre pour, nous dit Moto Revue en 1919, "se voir sélectionnée entre plusieurs compétiteurs par le gouvernement français pour la fabrication du fusil automatique C.S.R.G. (ndlr : Chauchat-Sutter-Ribeyrolles-Gladiator) qui a donné de si bons résultats. Ils viennent de reprendre la fabrication intensive de l'Autocyclette. Prochainement description de quelques perfectionnements".
La promesse était aventureuse puisque c'est seulement en 1926 que Clément-Gladiator est revenu à la motocyclette, mais l'Autocyclette tant attendue n'était pas au rendez-vous. À la place, une machine plutôt déroutante par son architecture et le matériau choisi pour sa construction : le profilé d'acier en U. Utilisé par quelques marques françaises, mais pas systématiquement, on avait déja vu des parties-cycle en profilé, par exemple chez Arbinet ou Rasser (acier matricé) au tout début des années 20. Le profilé sur la Clément-Gladiator est utilisé pour tous les éléments du cadre de sa "N", à l'exception de la colonne de direction et, bien entendu, de la classique fourche avant à paraléllogramme. Historiquement intéressante, cette moto n'est cependant que la première d'une lignée qui va se terminer en un petit chef d'œuvre de mécanique, la "Berceuse" (ci-dessous). On commence donc par la fin de l'histoire avec cette page du catalogue 1929 de St-Martin automobiles.
En 1928-29, la "N" est le Type dénommé ici touriste à 5 500 F, un prix qui n'a fait que baisser au long des années. En 1926, il était de 6 200 F pour la version 350 cm3 alors que la machine venait d'être présentée au Salon de Paris. Il est rectifié à 5 800 F en 1927 puis 5 150 F en 1928. Cependant, d'une gazette à l'autre ces prix varient d'une ou deux centaines de francs (de même que les poids annoncés), mais ils permettent des comparaisons avec le reste de la production française qui montrent que les Clément de première génération sont dans la fourchette des prix du marché. Mais les comparaisons sont possibles uniquement avec les motos françaises car celles d'importation restent intouchables qu'elles soient anglaises, allemandes ou belges.
Volée sur le site "Michel67", cette photo montre une "N" telle que j'ai pu en voir une, moi qui vous cause, dans les mains de l'un des mes chefs scouts dans la troupe de Meudon en... 1949. Il venait de l'acheter chez Moto-Comptoir (on verra l'histoire au prochain article) et rétrospectivement je me souviens qu'il la maniait comme un sauvage ou comme un gandin de la rupine bourgeoisie de l'ouest parisien manie aujourd'hui son scooter (je n'en dis pas plus mais j'ai les noms !). Je présume que la rondelle blanche (sur la moto) est une poulie destinée à entraîner par courroie la dynamo d'éclairage fixée au-dessus de la magnéto. Vous qui avez vu ça de près, ôtez-nous d'un doute en confirmant. Merci !
L'une des premières annonces publicitaires sur la "N" dans Moto Revue en novembre 1926. Le cadre triangulé à l'extrême comporte aussi un solide support de tan-sad suspendu indépendamment mais qui place le passager à la limite d'un dangereux porte-à-faux.
Les protubérances sur le dessus du réservoir signalent le graissage par pompe manuelle : tête du piston et viseur afin de veiller à ce que tout se passe bien. Le moteur est un JAP 350 à soupapes latérales à magnéto avant. Il est accouplé à une boite Sturmey-Archer à 3 vitesses commandées par levier direct. Détail exceptionnel dans la construction française, la béquille arrière est doublée par une centrale à deux branches fixée sous le moteur, un peu en avant du carter (bien visible sur la photo en couleur au-dessus). Une amélioration bienvenue en cas de crevaison du pneu avant.
Le brevet déposé par Clément-Gladiateur en 1926 (dessin extrait du forum de LVA Moto) doit tout à Paul Ribeyrolles qui est le "R" dans la dénomination du fusil "CSRG". Dans un article du 22/10/2010 publié par La Vie de la Moto, Bernard Salvat, qui a eu accès à certaines archives, a débrouillé la genèse de cette création que n'aurait pas désavoué un certain Gustave Eiffel !
Dès 1927, la catalogue Clément s'enrichit de nouveaux modèles à l'esthétique modernisée par un réservoir d'essence arrondi mais toujours entre-tubes. Il est surmonté d'un autre plus plat et contenant l'huile de graissage (ci-dessus). Deux latérales sont disponibles en 350 (N) et 250 (M), toujours avec des JAP. Ce constructeur anglais fournit aussi la motorisation d'une "Sport" 250 dont la distribution est assurée par des soupapes en tête commandées par tiges et culbuteurs (6 000 F). Enfin, avec un modèle "Course" on atteint le Graal pour le sportif qui doit néanmoins posséder un solide compte en banque pour débourser les 8 300 F de la merveille. Prix justifié par le moteur de cette "Course", un JAP culbuté 350 à double échappement, ce qui correspond sans doute à la version "Racing" de ce moteur.
Clément-Gladiator - et Andreino - seront des assidus du Bol d'or et du Circuit des Routes Pavées, ce dernier étant à la moto ce que Paris-Roubaix est au cyclisme, toutes proportions gardées. Ils y seront encore plus présents avec la "Berceuse" qui va faire sensation lors de sa présentation au Salon de Paris en octobre 1927.
Cette nouveauté est accompagnée par deux autres machines dotées d'une partie-cycle à la géométrie revue mais toujours constituée de profilés en U. En réalité il s'agit de versions bâties autour des moteurs JAP à culbuteurs connus précédemment.
Le catalogue Clément-Gladiator de 1928 comprend donc six machines auxquelles s'ajoutent les deux versions de la "Berceuse" en 250 et 350.
Ces 3 HP et 4 HP sont deux interprétations sans changement fondamental de l'ex-N en des cylindrées différentes. On constate que les suppléments font monter la note de façon assez considérable.
Renouvellement plus important avec les "Sport" et "Supersport" qui sacrifient un peu de la triangulation originelle afin de produire une allure moins "antique".
Choix cruel : vaut-il mieux prendre une 350 à soupapes latérales ou une 250 culbutée pour rouler à la même vitesse de 80 km/h ?
Les Clément d'avant 1914 n'étaient pas des motocyclettes mais des "AUTOcyclette" et c'est sans doute pourquoi la Berceuse est dans la publicité "L'Automobile LA PLUS CONFORTABLE, LA PLUS SURE ET LA PLUS ÉCONOMIQUE existant".
Les premiers résultats marquants en compétition sont enregistrés à la fin de 1928 avec une première place de Renaud en 250 au très éprouvant Circuit des Routes Pavées. Durant trois heures il lui a fallu accumuler les kilomètres d'un triangle de 13 km au revêtement à peine passable (comme son nom l'indique bien) et tracé à partir de Pont-à-Marcq (sud de Lille). En plus de la Berceuse du vainqueur, Clément y est venu en nombre avec 3 autres machines aux mains d'Andreino, Krebs et Sabet. Ce dernier devra abandonner avec une fracture du bras sur chute tandis qu'Andreino accumulera les crevaisons avant d'abandonner. Maurice Krebs se classera second des 350 à une poignée de kilomètres du vainqueur.
En septembre, sur le triangle des Routes Pavées, Renaud a maintenu une moyenne de plus de 81 km/h grâce à sa machine mais aussi grâce à sa résistance physique mise à l'épreuve comme en témoigne son visage à l'arrivée. À la Coupe de l'Armistice, disputée le... 11 novembre, Hector Andreino sera l'un des rescapés de cette épreuve rendue difficile par un temps excécrable. Il gagne en 250 devant 6 autres concurrents de sa catégorie. Tous ont terminé sans pénalité mais lui a réalisé le meilleur temps au départage dans la course de côte chronométrée de Lévy-Saint-Nom avec arrivée arrêtée, ce qui n'était pas une sinécure avec la pluie et les freins de l'époque !
L'ajout d'une suspension arrière donne une nouvelle silhouette à cette Clément mais elle est toujours aussi éloignée des canons esthétiques de l'époque. Pour le cadre, on a abandonné le profilé en U au profit de barres rondes d'acier (pas des tubes) ce qui, avec la suspension, a augmenté le poids d'une vingtaine de kilos. Le "porte bagages amovible à 75 F" permet désormais au (à la) passager (ère) de profiter du même confort que le pilote, ce que peu d'autres machines "de série" pouvaient revendiquer en 1928 (HRD et qui d'autre ?).
La "Berceuse" de la collection dite "de Moto Revue", telle qu'elle fut parfois offerte à l'admiration des amateurs lors de salons temporaires. Ici au premier Salon Rétromobile parisien dans des locaux de l'ancienne gare de la Bastille devenue depuis l'Opéra du même nom (de la Bastille).
Le principe tout simple qui a guidé Paul Ribeyrolles dans la réalisation de son chef d'œuvre et qui permettait à la chaîne finale de garder une tension constante. C'est la "transmission à rendement intégral" proclamée dans la publicité ci-avant.
Moto Revue avait publié un dessin si précis du cadre de la Berceuse qu'il fut repris intégralemnt dans les catalogues et prospectus de Clément. Le petit pignon qui tend la chaîne est parfois nommé "galopin" dans certaines revues, un terme dont on ne retrouve nulle trace ailleurs. Erreur typographique ? Fantaise d'un journaliste ? Qui peut éclairicir la chose...
(Prochain article : La "Berceuse" interprétée par Andreino)
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