À partir de 1950, la rafle des titres mondiaux en 500 opérée par Gilera d'abord et M.V. ensuite, a convaincu le monde de la compétition (Norton excepté...) que l'avenir était au multicylindre. En France, Nougier met en chantier sa 4 cylindres, mais le virus est aussi ailleurs. Ainsi chez Ultima, vieille maison lyonnaise dont on n'attendrait pas une telle audace, il a existé une 4 cylindres. Soyons précis : elle est l'œuvre de Fernand Fargeton, ingénieur "chez" Ultima, nuance. Avant de se lancer avec le coureur Despland dans la construction d'une bicylindre de course en 1952, F. Fargeton avait créé une 4 cylindres... deux-temps. Elle était formée par quatre 125 Ultima disposés en carré et accouplés par des pignons au centre, l'allumage étant assuré par quatre volants magnétiques ! Le multicylindre deux-temps tentera plus tard (1955) le crossman Olivotti qui réalisera un moteur très... symphonique puisque formé par deux moteurs de 125 Rumi assemblés côte à côte !
Au tout début des années 50, un simple artisan - simple mais doué - travaille aussi à un 4 cylindres selon les normes des plus grands constructeurs. Son 4 temps transversal de 500 cm3 (54 mm x 54) possède un bloc en dural chemisé dont les ailettes s'entrecroisent à leurs extrémités. Il est est coiffé par des culasses séparées et fixées par quatre goujons ce qui autorise un démontage facile. La distribution par double arbre à cames est commandée par une chaîne duplex sous carter à droite, l'embiellage est monobloc. L'allumage est assuré par une magnéto R.B., étudiée spécialement pour ce moteur et logée devant le bloc (visible ci-dessous).
Le carter de distribution enlevé laisse apparaître les pignons doubles de commande des ACT. À la base du bloc, les deux pompes à huile assurent le graissage à carter sec : celle située vers l'avant (ici à droite) alimente l'équipage alternatif, les pignons de la chaîne duplex ainsi que les boîtiers des arbres à cames. L'huile est ensuite récupérée dans le fond du carter-moteur et renvoyée par l'autre pompe vers le réservoir d'huile.
Sur le banc d'essais, le moteur est refroidi par une hélice dont on voit l'amorce à droite.
La commande du compte-tours se fait en bout de l'arbre à cames avant, côté échappement. À l'arrière, se trouve le contrôle de la pression d'huile. Les deux canalisations d'huile extérieures, en équerre au-dessus du carter "primaire", apportent le lubrifiant aux ACT.
D'abord essayé avec une paire de carburateurs Amal T10 RN, le moteur ne délivrait pas une puissance satisfaisante (8 000 t/minute). Contacté, Gurtner déclara ne pas s'intéresser à la compétition, donc à ce type d'expérience (!) alors que Zenith fournit gracieusement deux carburateurs qui furent montés sur une pipe d'admission commune, idem en automobile. Les meilleurs résultats furent finalement obtenus avec le montage - déconseillé par les spécialistes de la carburation automobile - de 4 carbus Dell'Orto... comme sur les 500 italiennes.
L'installation du banc d'essais est digne des meilleurs et cadre assez mal avec l'image de petit artisan de la région parisienne dépeint par C. Rey qui a présenté ce moteur dans Moto Revue. Le projet du constructeur était de fournir un moteur susceptible d'équiper des Racers 500, une catégorie de véhicules légers en plein développement Outre-Manche. Il s'agissait de proposer aux amateurs français l'équivalent en plus moderne des J.A.P, Norton Manx rares et hors de prix ou des BMW R75 et Zündapp Russie qu'ils devaient bricoler à outrance (chemisage à 500, transmission à créer, etc). Rapidement la Formule Racers 500 périclita en France et notre constructeur-mystère abandonna son œuvre impossible à convertir pour une utilisation motocycliste.
Dans l'article précité, à aucun moment n'est donné le nom de ce constructeur, mais le personnage est déjà bien connu dans le milieu motocycliste. Il s'agit de Lucien Rossignol qui, dès 1945...
... s'est lancé dans la "reconstruction" de machines ex-militaires (ci-dessus, publicité de 1945). Avec talent si l'on en croit ses résultats au Bol d'or 1947, premier de l'après-guerre, dont il remporte la première place des 350 suivi par une autre de ses Matchless. Avec sa culbutée, il est aussi 8ème au classement général, derrière des 500 Norton (ACT), Guzzi (ACT), etc.
Avec la même Matchless qu'en 1947, Faene remportera la victoire de sa catégorie au Bol d'Or de 1948 (et 5è au classement général).
Il fallait quand même faire tourner l'affaire et les petites annonces sont d'une utilité indéniable (P.A. de 1946) pour faire de la place dans ses réserves.
Tenaillé par l'envie de courir, Rossignol réalise une Matchless à sa façon tout en produisant quelques sucreries dont manquent les amateurs français. Il commence par un frein avant cônique puis un autre à trois mâchoires et enfin un double-cames, des modernités alors inconnues ailleurs que sur des machines de compétition.
Au vu de la taille de son réservoir, cette Matchless semble avoir été préparée pour une épreuve d'endurance. Plutôt dans les 2 Heures Éliminatoires du Bol que dans l'épreuve de 24 heures elle-même, étant donné la taille de la "selle" et l'absence d'éclairage. On peut dater la machine de la toute fin des années 40 puisque les Rossignol-Matchless engagées au Bol d'or (1947 et 1948) n'étaient que peu modifiées et que Rossignol passe à la BSA Gold Star dès 1951 comme on va le voir ci-après.
Amoureux de la mécanique de précision, Rossignol sait l'importance de la lubrification d'un moteur. D'où un soin particulier apporté au refroidissement de l'huile, aussi bien par la taille généreuse du réservoir de celle-ci que par l'ajout d'un radiateur joliment décolleté dans le dural. Sur la première photo, on remarque un circuit de graissage très élaboré. Par contre, ci-dessus, les cocottes des leviers soudées au guidon...
Bol d'Or 1952 : Rossignol est toujours fidèle au 350 monocylindre culbuté mais d'une autre marque et toujours d'une préparation méticuleuse. Le réservoir d'origine de la Gold Star a été remplacé par celui d'une autre BSA. Plus petit, il permettait un meilleur refroidissement et facilitait l'accès à la culasse. C'est pourtant de cette partie que viendront les problèmes en course, obligeant Rossignol à l'abandon, soupape brisée à la 7è heure. Il était alors 5è au classement général de la course.
La même Gold Star a retrouvé son réservoir aux Éliminatoires du Bol 1953. Rossignol n'y roulait pas en bermuda, c'est le vent de la course qui s'engouffrait dans son pantalon, exhibant d'élégantes chaussettes et des chaussures de ville (ou peut-être cyclistes ?).
1954. Dans ce premier Bol d'Or à deux pilotes, Rossignol fait équipe avec le jeune Goll, fils du patron de la succursale parisienne de Peugeot. Encore une belle victoire de la Gold Star dans la catégorie 350 et la deuxième place au général derrière l'avionesque Puch d'usine. La fougue de Goll soldée par une chute les a peut-être privés de la victoire car dans les dernières heures, il reprenait une vingtaine de secondes au tour sur le futur vainqueur. Une panne d'embrayage les avait aussi retardés au début de l'épreuve.
C'est sans doute la dernière fois que Rossignol a participé à une course, lui qui était l'un des piliers de ce Bol auquel il avait participé pour la première fois en... 1934 ! Il était alors aux commandes d'un tricyclecar de sa fabrication que présenta Moto Revue (ci-dessous). Un coup pour rien car il abandonna au terme de la deuxième heure. Il effacera l'affront l'année suivante en remportant la catégorie 500 tricyclecars à plus de 62 km/h.
L'article de Moto Revue était illustré par des dessins (ci-dessous) qui posent un problème. En effet, dans un article du "Fanatique de l'Automobile" signé de Serge Pozzoli (paix à son âme !), il est question d'un moteur à double échappement. Sur quelques photos, on voit distinctement deux tubes émerger du capot sur le côté gauche du tricyclecar. L'un sort à l'avant tandis que l'autre sort plus bas et est nettement écarté vers l'arrière. Pourrait-il s'agir d'une prise de réchauffage du carbu, le moteur (28 ch) fonctionnant à l'essence-benzol, carburant dont on sait les propriétés réfrigérantes...
Le moteur 500 était un J.A.P. à double allumage qui semble dérivé de celui qui fut engagé au Tourist Trophy de 1934. Sur le sien, Rossignol a particulièrement soigné le graissage dont il connaissait l'importance : deux pompes à huile alimentent le circuit par quatre tubulures. Connu sous le surnom "Tempest", ce J.A.P. fut également monté sur une Styl'son en 1936.
Rossignol aux ordres du starter Eugène Mauve lors de l'une des innombrables épreuves organisées par le père du Bol d'or.
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