DANS LES ANNÉES 50, "L'Anneau Magique" avait un mal de chien - hors Bol d'Or - à intéresser un public motocycliste. Il fut pourtant le cadre de quelques belles réunions dont l'une est longtemps restée dans la mémoire des amateurs de vitesse. Il faut dire que ses organisateurs n'avaient pas lésiné sur les annonces. D'abord la date choisie, le 1er Mai qui n'était pas alors le grand raout revendicateur et politique qu'on connaît (*). Ensuite, il était question d'un "Grand Prix de l'A.M.S.", dans la revue bi-mensuelle Motocycles, ou d'un plus ronflant "Grand Prix du Président de la République" dans Moto Revue.
EMBROUILLÉ ? ALORS, J'ESSEPLIQUE, GERMAINE !
L'A.M.S. ou Association Motocycliste de la Seine était un grand club qui organisait en vitesse à Montlhéry et surtout des moto-cross, en particulier à Montreuil. Le moto-cross était générateur de pépètes grâce à son caractère très populaire amenant des dizaines de milliers de spectateurs aux portes de la capitale. L'A.M.S. avait su aussi trouver des supports financiers (sponsors) tels Pernod-Ricard ou Le Parisien Libéré. Il ne faut pas oublier que l'on parle ici d'un temps où le cinéma était l'autre grande distraction dominicale des Parisiens (j'allais oublier les baignades dans la Marne... et les pique-nique au Bois de Chaville). Le rapport avec la Présidence de la République est plus nébuleux, mais il suffisait alors de soutirer une breloque à une quelconque autorité des Sports, voire une simple Coupe pour se prévaloir d'une reconnaissance officielle. (*) C'est en 1941, sous Pétain, que le 1er Mai fut instauré "Fête du Travail et de la Concorde Sociale".
Pour être à la hauteur de ses prétentions, l'A.M.S. avait attiré quelques pointures internationales. La représentation italienne était emmenée par Nello Pagani (ci-dessus, au virage des Deux-Ponts) pilote d'usine Gilera, qui fut champion du Monde en 1949 sur 125 Mondial.
Sous les yeux des spectateurs soigneusement tenus à l'écart, la Gilera de Pagani devant une Norton Manx dernier modèle. La Norton numéro 28, au second plan à droite, a encore la coulissante arrière qui va être dépassée d'un coup avec la généralisation de la partie-cycle "Featherbed".
L'autre Italien de valeur était le sidecariste Ernesto Merlo qui finira la saison mondiale à la troisième place avec son passager Ernesto Magri. Sa Saturno "un peu usine" arborait un superbe frein avant tout alliage, de marque Salvai, La présence de spectateurs à l'arrière-plan, assis en toute décontraction sur le rebord des stands, indique que l'on est dans la période des essais.
Contrairement aux Gilera engagées en solo, celle de Merlo a conservé la fourche à parallélogramme en embouti, sans doute pour des raisons de rigidité. Dans le même but, la suspension arrière a été abandonnée. Participant au Championnat mondial sidecars depuis sa création en 1949, et jusqu'en 1952, Merlo a toujours été parmi les meilleurs entre la 9e et la 3e place.
Une petite colonie britannique comptait le multiple champion du monde des sidecars Eric Oliver et des solistes comme Lawton, Bruguière ou Heath, parfaitement inconnus en France mais dont on avait tout à craindre. Avec raison... Marcel Masuy sur Norton side était le Belge venu en voisin (6ème du Mondial 1952) et Vogel, lui aussi équipé Norton, représentait l'Autriche. Dans son élan, Moto Revue avait même annoncé la venue des Graham (AJS), Lorenzetti et Anderson (Guzzi), tous pilotes d'usine, mais là on entrait dans le domaine du rêve...
On peut être Champion du monde et souffrir de la canicule comme le montre, à gauche, Eric Oliver vêtu d'un démocratique "Mimile". Tout à droite, le personnage en costume sombre pourrait être Marcel Violet que l'on a rarement vu autrement qu'en costume croisé et avec son chapeau clair, même par grand vent à Montlhéry. Sa présence est sans doute justifiée par son poste dans une commission technico-sportive au sein de la Fédération Française de Motocyclisme.
À première vue semblable à n'importe quelle autre Norton 500 Manx, celle d'Eric Oliver révélait quelques détails trahissant la patte de l'usine et des améliorations personnelles de son pilote. Le déport de l'axe de roue avant allongeant de fait l'empattement, la prise d'air sur le tambour à came unique témoignaient du soin apporté par l'artiste aux moindres possibilités d'augmenter les performances. Eric Oliver savait aussi manier la psychologie pour travailler au moral ses concurrents. Lors des essais d'une course à Montlhéry, il s'était présenté avec un plâtre du talon au genou de la jambe droite (celle du sélecteur...). Logiquement, ses adversaires le pensèrent handicapé et se mirent à espérer pour la course du lendemain... où le "fourbe" Grand-Briton se présenta bien d'aplomb sur ses deux jambes dûment bottées...
La Belgique était un creuset de sidecaristes toujours dans les 10 meilleurs mondiaux tels Vanderschrick, Deronne, Vervroegen ou Marcel Masuy. Ce dernier faisait équipe ici avec Dennis Jenkinson, un "singe" qui deviendra célèbre par sa double casquette de reporter/écrivain sur les Grands Prix continentaux et sa flamboyante barbe rousse d'ermite. Le monde automobile se souviendra surtout de lui pour avoir été le co-équipier/navigateur de Stirling Moss lors des mémorables Mille Miglia 1955 remportés sur Mercédès à 157,65 km de moyenne !
Nonchalamment appuyée contre la cabane de chronométrage de l'UTAC à Montlhéry, l'AJS de Sid Lawton présente les signes huileux d'un usage intensif.
L'industrie britannique fournissait alors la majorité du parc des coureurs privés, avec Norton en tête pour les 500 et 350. Dans cette dernière cylindrée, AJS était un redoutable adversaire avec sa fameuse "7 R". Cette 350, dite "Boy Racer" à ses débuts, fournissait une trentaine de chevaux grâce à son ACT commandé par chaîne, un choix habituel des moyennes cylindrées italiennes. L'usage intensif du magnésium - carter-moteur et de distribution - protégé par une peinture de couleur or en faisait une machine séduisante à l'œil, mais le ramage était à la hauteur du plumage...
C'est aussi une AJS 7 R que Georges Monneret menait dans ce Grand Prix, un choix évident puisque les Ets Monneret représentaient la marque en France. Son fils Pierre (au fond, à gauche), était pareillement équipé avec la N° 2 dont on aperçoit la plaque, la selle et une partie du réservoir. Toutes les "Boy Racer" étaient présentées en noir avec filets or durant toute leur longue carrière qui prit fin en... 1962 ! Elles développaient alors une quarantaine de chevaux, mais par la suite certains préparateurs anglais surent en tirer encore plus.
Aussi insolite et rare en France que dans son pays d'origine, la Vincent 500 Grey Flash de Heath est une version "compétition" (35 ch.) de la Comet de tourisme. Mais elle pourrait être l'une de celles cataloguées en 1950 selon trois versions : l'une en tenue de course sans aucun des affûtiaux destinés au motard lambda (photo ci-dessous) à 275 £ ; une autre était équipée pour un usage routier (275 £) et enfin une dernière version était la routière vendue avec toutes les bonnes pièces pour la transformer en "compé-client" (300 £).
De la trentaine de machines de cette série, la grosse majorité étaient des "course" baptisées Grey Flash d'après leur peinture Elles seront les seules de la production Vincent d'après-guerre à ne pas être disponibles dans la robe noire qui "égayait" bicylindres et monocylindres. Roy Harper, spécialiste des Vincent, répertorie six versions de ces monos à travers les âges, de 1948 à 1955, selon qu'ils sont des Series C ou D, (et en plus des Grey Flash), sous les noms de Comet ou Meteor, dont certaines étaient à unique exemplaire.
(Bientôt la suite)
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