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Les gagne-petits du "go-fast"

LE CINÉMA ET LES FAITS-DIVERS ont fait la célébrité des "go-fast", ces convois de puissantes "berlines allemandes" dont on ne citera pas la marque pour ne pas faire de peine à Mercédès ou Audi... La méthode est connue : une voiture fonce en éclaireur suivie de la "mule" chargée de drogue qui efface les frontières à grande vitesse à travers les autoroutes. Le procédé a fait école - peut-être est-ce l'inverse - en Afrique du Nord et de l'Ouest où la drogue est remplacée par l'essence. Le yoyo des prix du pétrole a engendré ce "nouveau commerce" qui, par ricochets, fait vivre des centaines de milliers de familles du continent noir. Et là encore, on retrouve l'effet de la moto chinoise à bas prix.

LE BÉNIN EST UN PETIT PAYS tout en longueur sur le golfe de Guinée, coincé entre le Togo à l'ouest et l'immense Nigéria, le plus peuplé des pays d'Afrique (195 millions d'habitants). Lequel est au douzième rang mondial des producteurs de pétrole mais au cinquantième rang des consommateurs (sur 200).  

C'est la Shell, groupe anglo-néerlandais, qui exploite ce pétrole depuis plusieurs décennies, avec des infrastructures aujourd'hui déficientes. Vieillissantes et usées par la corrosion, peu voire pas entretenues, elle provoquent des marées noires permanentes dans le delta du Niger. Le poison gluant, qui fait la fortune du pays, a envahit les terres agricoles et les mangroves où l'on patauge littéralement dans le "brut". Sauf les poissons qui en meurent, ruinant les pêcheurs forcés à l'exil vers les villes... La Shell, bien sûr, a promis de réparer les dégâts à coups de milliards de dollars...

En attendant, au Nigéria des pirates des oléoducs se sont auto-proclamés raffineurs de pétrole avec des procédés aussi archaïques que dangereux. Leur production sauvage n'est pas de première qualité, mais son prix extrêmement bas a généré un trafic qui structure une bonne partie de l'économie béninoise.

Sommairement raffiné, "l'or noir" devenu kpayo (contrefaction, ersatz) est ensuite acheminé par divers moyens de transport dont les "zemidjans" qui ont proliféré tant au Nigéria qu'au Bénin. Avec peu de ressources naturelles (coton), ce dernier bénéficie de l'activité de son grand port de Cotonou, point d'accès à l'océan très utilisé par Lagos, proche capitale économique du Nigéria.                                                                               (Les zemidjans : "emmène-moi vite", ou zems : taxis-motos. Pour la seule ville de Cotonou, ils étaient 150 000 en 2016)

Au Nigéria, le kpayo remplit des bidons de 20 à 50 litres qui sont ensuite chargés sur des motos, lesquelles vont filer vers le Bénin de façon plus ou moins clandestine. Les rares points de contrôle officiels sont faciles à éviter sur une frontière de plus de 780 km de long (Photo equaltimes.org).

Au prix de quelques centimes d'euros prélevés par les préposés à la... surveillance du territoire, le risque financier n'est pas excessif. Surtout comparé au bénéfice que rapporte chaque litre de kpayo vendu aux environs de 400 francs CFA au lieu des 565 FCFA à la pompe officielle (les prix varient de quelques FCFA selon la raréfaction ou l'abondance des livraisons).

En route vers de nouvelles aventures, le "livreur" chargé de plusieurs centaines de litres d'un carburant potentiellement explosif va quitter les pistes pour rejoindre le bitume des villages puis celui des villes... Peu de risque financier, donc, mais un énorme risque humain car une chute ou la moindre étincelle peut faire exploser le chargement avec les conséquences qu'on imagine.

Tout au long de leur parcours de retour, les contrebandiers alimentent quelques petits détaillants qui débitent le précieux carburant au litre ou encore moins (Photo equaltimes.org)

Ces commerces sont tenus en général par des femmes ou des adolescents en rupture d'études ou victimes d'un chômage endémique qui touche 60 % d'entre eux (Photo pedagogie84). Si les affaires marchent bien, une famille peut espérer un gain de 150 à 200 euros par mois alors que le salaire moyen d'un fonctionnaire est d'environ 60 euros mensuels. Ces chiffres sont approximatifs, mais ils expliquent pourquoi plus de 200 000 personnes sont impliquées dans le trafic du kpayo au Bénin et en soutiennent l'économie.

Sur son chemin, le "livreur" croise des confrères qui font le trajet inverse du sien, allant au ravitaillement chargés de bidons vides comme en témoignent leur échafaudage brinquebalant (Photo pedagogie84).

Bien que parfaitement illégal, ce trafic a pignon sur rue tel cet "Ami des Pistons", rutilant de dames-jeannes ambrées et établi de façon durable au bord d'une route très fréquentée (Photo pedagogie84). Dans certaines villes, on a même vu ce genre d'installation en face d'un commissariat ou d'un poste de douanes...

L'autoroute Cotonou-Porto-Novo n'y échappe pas ! Mais le vendeur est prudent : il est installé derrière la barrière de sécurité...

Lorsqu'on n'a pas de moto, on cannibalise deux épaves de Vespa pour n'en faire qu'un... mais à 3 roues ! C'est une spécialité des "handicapés-mendiants" que cet équipage auquel on greffe un énorme réservoir bricolé de plusieurs centaines de litres, créant une redoutable bombe humaine. Le sachet d'arachides entre les dents est là pour se nourrir pendant le voyage...

"Compte tenu de notre handicap, les douaniers ne nous arrêtent pas au cours du trafic. Je suis fier de mon travail, car je ne suis plus obligé de me cacher comme dans la mendicité." déclare Codjo, 30 ans (yanous.com/news/) qui a trouvé ce travail grâce à son association Handisport.

Soumis à rude(s) épreuve(s), le Vespatriple demande quelques réparations qui peuvent aller jusqu'à la grosse chirurgie. Mais le mécanicien africain est connu pour savoir parer à toutes les éventualités, y compris les plus improbables. 

Les pirogues à moteur qui sillonnent les nombreuses rivières communes aux deux pays passent de l'un à l'autre sans problèmes. Se pose ensuite la question de la livraison terrestre des bidons où l'on retrouve les zems ou un... camion ! 

L' autre moyen de transporter le carburant illégal est de le confier à notre mère Nature ! C'est peut-être le plus hasardeux, mais c'est aussi le moins risqué. Les bateaux larguent leur cargaison en vue des plages du Bénin et même du Togo où il suffit de se mouiller un peu les pieds pour récupérer la marchandise que la différence de densité fait flotter.

Entre l'Algérie (gros producteur de pétrole), la Tunisie et surtout le Maroc, ce sont les ânes qui font les "mules", chargés de bidons d'essence, remplaçant les voitures trop repérables. Guidés jusqu'à la frontière puis abandonnés en vue des contrôles, ils continuent seuls un chemin qu'ils font régulièrement avant de retourner vers leur point de départ. Les forces de l'ordre s'activent à réprimer ce trafic qui coûte cher en termes de taxes ainsi escamotées

Articles de presse et sites consultés pour rédiger cet article :

pedagogie84.pagesperso-orange.fr

beurk.com

lallumeurdereverbere.over-blog.com

equaltimes.org

Jolome News

Le Monde Diplomatique

stationtostation.wordpress.com

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P
Merci pour ce récit bien documenté .
Répondre
J
Risque d'explosion à peu prêt nul car leurs bidons sont pleins. Par contre au moment du dépotage ou du remplissage là...il y a beaucoup de vapeurs vraiment dangereuses elles, surtout si un peu d’électricité statique vient se fourrer là dedans.<br /> Un accident avec de tels chargements peut surtout provoquer un sacré incendie!
G
comment devant tout cela, nos gouvernants font ils confiance aux gouvernants de ces pays.<br /> j'y ai travaillé et je pleur en voyant cela.
Z
... sans oublier tous ceux qui sont sur place et nous font profiter de leurs connaissances !