Tous titres confondus, journaux régionaux ou nationaux, la presse française de 1945 se porte bien avec un tirage quotidien de 15 millions d'exemplaires. Les conditions économiques sont pourtant difficiles et ces journaux sont imprimés sur 4 pages d'un mauvais papier, mais en grand format (celui du Canard enchaîné aujourd'hui) pour la plupart. Les quotidiens parisiens sont nombreux à la Libération, mais leurs nombre diminue au fil des mois. Ceux qui restent ont réinvesti les locaux de ceux qui ont été interdits par le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) pour cause de collaboration trop active avec l'occupant. France-Soir s'installe rue Réaumur dans les infrastructures (bureaux et machines) de L'Intran ; le boulevard des Italiens est le siège du Monde qui a pris la place du Temps, etc. Les N.M.P.P. sont reformées (1947) et changent la couleur de leurs voitures de livraisons, du vert on est passé au rouge-bordeaux. Ce qui fait dire à gauche qu'on est passé de la Pieuvre verte à la Pieuvre rouge, allusion à un quasi-monople de Hachette sur la distribution des livres et journaux ... Grâce aux ventes des surplus américains et à celles de l'armée française qui va bientôt recevoir des B.M.W. neuves, les motards de presse retrouvent un guidon "d'occasion", d'abord pour les livraisons, souvent avec un sidecar.
Dans la majorité des cas, l'attelage est entraîné par une B.M.W. 750 R12. Ci-contre une photo doublement exposée, mais qui ne laisse aucun doute quant à la présence d'un moteur flat-twin à soupapes latérales et d'origine germanique. Robuste, fiable, la R12 fut produite à plus de 36 000 exemplaires et largement utilisée par l'armée allemande. Dans son excellente étude "Historique des Motocyclettes Cemec & Ratier", le spécialiste Michel de Thomasson rappelle qu'en 1972 "un certain Daubian qui travaillait pour les messageries Hachette roulait encore avec une R12 attelée" ! Moteur simple à entretenir et à régler (avance manuelle) mais machine moderne néanmoins, la R12 fut la première moto AU MONDE à être équipée d'une fourche télescopique (1936).
En même temps que les N.M.P.P. renaissait en 1947 une autre institution française : le Tour de France. Il est relancé par L'Équipe, nouveau journal qui a repris les rênes tombées des mains de L'Auto interdit de reparution. Le Tour va remettre sur les routes de l'été les motards-porteurs-de-presse-et de-journalistes plus ou moins bien équipés. Celui-ci, de journaliste, apprécie à sa manière la selle double de la Harley-Davidson de son pilote à la carrure ... intéressante. Ils sont souvent taillés sur ce même patron et dans un article que leur avait consacré la revue Motocycles en 1949, il est question de l'un d'eux surnommé "Carnera" pour ses 106 kilos et son mètre 81 (Primo Carnera était un boxeur italien de 122 kilos et un mètre 95). Est-ce lui sur cette photo ? Pas impossible.
Sa Harley-Davidson à soupapes latérales latérales est probablement une ex-Army civilisée (peinture, garde-boue) par quelques spécialistes dont Gratecap, établi à Levallois-Perret sous l'enseigne Motos-Danton. J'ai de bonnes raisons de connaître l'adresse car vers 1949-50 je descendais depuis Meudon sur mon lourd vélo pris à l'armée allemande (avec un sublime frein à rétropédalage donc un seul pignon) pour aller admirer les Harley "reconstruites" par ce motoriste. L'une d'elles, d'un bleu sublime avait un poste de radio installé derrière le pare-brise ! Sans doute une "Présentation Luxe" promise par sa publicité que j'avais repérée dans Moto Revue. Une vision qui valait bien la dizaine de kilomètres aller et autant au retour, mais avec l'interminable montée de la Route des Gardes...
Fin de la parenthèse personnelle sans aucun rapport avec la photo ci-dessus (vue sur : velos-mont-valerien.over-blog.com). Elle a été prise à l'occasion de l'un des nombreux critériums réservés aux cyclistes "porteurs de presse", avec un chargement de journaux et une bicyclette sans dérailleur. Beaucoup, nécessité oblige, étaient passés à la moto, mais gardaient la nostalgie de leur "petite reine". J'en ai connu un qui roulait en BMW R100 LT toute l'année pour une entreprise de presse et qui passait toutes ses vacances sur son vélo à grimper les cols des Alpes ou des Pyrénées, suivi par sa femme... en voiture. D'autres se contentaient de se réunir chaque week-end au bois de Boulogne pour tourner autour du Lac... Et ils le font peut-être encore.
Autre Harley qui a repris du service civil. Outre le pare-chute réglementaire, elle a conservé la sirène des M.P. que l'on distingue derrière le mollet de la passagère. Actionnée par frottement sur le pneu arrière, elle faisait la joie des petits n'enfants et prévenait de loin les GI's en goguette ou déserteurs que la Military Police n'était pas loin, et ce n'était pas des tendres !.
La pénurie de matières premières obligea à utiliser bois et contreplaqué à la place de tôle d'acier dans les caisses de sidecar. Ce dessin montre un modèle attelé à une BMW R12 que la revue Motocycles avait vu en 1949 aux mains de Robert Adnet, motociste du côté de Vincennes (ou Saint-Mandé ?) et pilote de moto-cross par ailleurs. Le châssis est un Précision identique à celui de la photo suivante...
... d'un porteur de Presse probablement en vacances avec son véhicule "de fonction" qui exerce, semble-t-il, autant de séduction que la plus rouge des voitures de sport auprès de la gent féminine. Que l'on dirait bretonne a priori. La moto est une BMW R51/2 (frein simple came) sortie en 1950, et première nouvelle flat-twin de l'après-guerre.
En 1955, tout le monde ne roule pas carrosse et ce porteur finit d'épuiser son "avant-guerre", peut-être une Monet-Goyon avec son cylindre incliné et ses ressorts de soupapes à l'air libre. Il n'en transporte pas moins sa cargaison de journaux nullement augmentée pour les besoins de la photo. Il suffisait de bien caler l'échafaudage sous le menton...
Quel que soit son âge, la BMW reste favorite, d'autant que cette "vieille" 600 (1938-1941) est plus puissante que la toute nouvelle 500 de 1950 : 30 ch contre 24 ! Le tablier de cuir mis à part, tout l'équipement du motard de Presse est présent ici : manchons de guidon, sac sur le réservoir, baskets aux pieds mais surtout pas de casque ! AVERTISSEMENT aux âmes sensibles : si vous êtes allergique aux BMW, passez tout de suite à un autre article, sinon vous allez risquer l'overdose de flats teutons. À partir d'ici, il n'y a presque que ça !
Après le passager volant, ailes déployées, voici le passager dormant (ou faisant semblant). Ce qui prouve que même chez "les professionnels de la profession" on ne répugne pas à faire le clown dès qu'il y a un objectif-photo en vue. En plus des affûtiaux classiques, la moto porte sur le garde-boue avant un macaron rond et émaillé (ici de profil) en forme de cocarde bleu-blanc-rouge barrée d'un cartouche noir "Presse" ou "N.M.P.P." je ne me souviens plus exactement. On trouvait ça dans une officine de la rue Montmartre (fief des journaux et des messageries) qui proposait également des lunettes pliantes en tous sens que je n'ai jamais vues ailleurs. Ah que, j'ai toujours les miennes ! La BMW est une 500 (R51/3) ou 600 (R67) du Tour 1954, par ailleurs dernière année où fut obligatoire l'immatriculation avant des motos en France (Photo Presse-Sports).
Selon les sources, le moyeu-frein central avant des BMW est apparu sur la R51/3 en 1954, mais on peut soupçonner Latscha, l'importateur qui faisait la pluie et le beau temps auprès des amateurs, de retarder la livraison de nouveaux modèles jusqu'à épuisement de ceux qu'il avait en magasin. À droite, une BSA Road Rocket (la fusée est sur le garde boue) dont le pilote pourrait être "La Truche", grande figure parmi les motards à France-Soir. Tout ce petit monde est sur un Paris-Tours dont le millésime n'est malheureusement pas lisible sur les plaques à numéros.
La BMW qui transportait le "passager dormant" a repris du service dans le Tour 1958 alors que déjà la relève est là sous forme d'une Serie 2 à fourche (dite) Earles, qu'on aperçoit à droite. Encore une particularité cultivée par les motards de Presse sur BMW : le minuscule rétroviseur fixé sur le côté du phare côté gauche. Vu sa position, on ne voyait rien derrière, mais c'était considéré comme réglementaire... y compris avec des manchons de guidon !
Le motard de Presse aime sa machine et l'immortalise de belle manière avec tout son équipement, y compris le macaron N.M.P.P. sur le garde-boue. Le protège-cylindres en fer plat est une variante peut-être personnelle, mais beaucoup se dispensaient d'une quelconque protection. Ils préféraient faire les frais d'un cache-culbuteurs plutôt que d'avoir à changer un cadre déformé sous un choc.
Mais point de protection particulière du pilote de la même BMW qui a fourni des détails circonstanciés au dos de cette photo : "Accident du 10 mars 1967 à 16 h 45, Bd Romain-Rolland, Paris 14e. Fracture clavicule + omoplate".
En 1959, les photographes utilisaient encore de gros appareils grand format (4 x 5 inches ou plus), encombrants mais donnant des tirages de grande qualité, surtout en cas d'agrandissement vu la taille du négatif. Il n'était pas encore question de "mitrailler" l'événement alors qu'on ne publiait que quelques photos, le commentaire écrit ayant priorité.
Encore un monopole des motards de Presse : aider à relever le défi lancé par un quotidien britannique et commémorant la traversée de la Manche par Louis Blériot. Il s'agissait de rallier Marble Arch (Londres) à l'Arc de Triomphe (Paris) avec retour dans le minimum de temps et par tout moyen de transport. Cascadeuse et compagne de Gil Delamare, autre cascadeur, Colette Duval s'apprête à rejoindre l'héliport d'Issy-les-Moulineaux où un hélico la déposera à Villacoublay au pied d'un avion de chasse "Vautour" qui la mènera près de Londres. On savait s'amuser en ce temps là, sans oublier qu'il y avait quelques milliers de livres sterling à la clé !
Près de la Porte de Versailles, Colette Duval va bientôt arriver à l'héliport, mais le record lui échappera par la faute d'un mauvais atterrissage sur le sol anglais. En 1959, c'est un commandant de la R.A.F. qui fera le meilleur temps avec 40 minutes et 44 secondes ! Tout à gauche, on remarque un twin anglais AJS ou Matchless, une vraie rareté chez les motards de Presse (Photo Dalmas).
Près de 120 concurrents ont tenté de joindre Londres-Paris-Londres en 1959, certains de façon folklorique (patins à roulettes), ce qui n'est pas le cas de ce pilote anglais qui a choisi la BSA d'un motard de Presse pour son retour "at home". Des champions motocyclistes tels Georges Houel ou John Surtees participèrent à ce défi en transportant des concurrents, en France ou en Angleterre.
Au flat-twin germain, certains préfèrent le twin anglais BSA 500 (A50) ou 650 (A10) plus maniable, plus agile et... plus économique à l'achat. De plus une BMW n'est pas indispensable si on n'a pas besoin d'un attelage (Tour de France 1962).
Cest sans doute le document d'Antoine Blondin le plus connu, même par ceux qui n'ont jamais ouvert l'un de ses livres. En revanche, ses chroniques ravissaient les lecteurs de L'Équipe pour qui il a "couvert" 27 fois le Tour de France (Photo Presse-Sports).
Sur n'importe quel évènement la télévision se doit d'être présente et la moto garde sa supériorité dès qu'il s'agit de rapporter (ou de transmettre ) des images. Le reporter-cameraman est casqué, pas le pilote... (Photo R.T.F.).
Le sacro saint "direct" est primordial pour la radio et il devrait l'être aussi pour notre télé aujourd'hui, surtout celles qui se prévalent de diffuser "l'information en continu". En réalité, la plupart du temps on a droit à des séquences "en boucle" avec un commentateur en insert sur le côté de l'écran. Existe t-il encore de nombreux reporters qui partent à la chasse à l'info, le cul sur une selle de moto, comme ici Gérard Pabiot dans les années 70 ?
Une grève des transports parisiens (à l'arrière-plan un camion de l'armée appelé à la rescousse) donne l'occasion à un sidecariste de Presse d'aider quelques travailleurs à rejoindre leurs pénates. On apprécie alors le volume de la caisse utilitaire du Précision métallique. Ce modèle (j'ai oublié s'il était en alu ou tôle d'acier ?) fut très largement répandu dès la fin de la période des vaches maigres en France.
Sur le 64e Paris-Tours (1972 ?) deux BMW nouvelle génération Serie5. À gauche, Truchon, de France-Soir, qui en épuisera plusieurs avant de devenir le chauffeur personnel de Pierre Lazareff directeur du journal. Très malade, ce dernier avait besoin d'un bras solide sur lequel s'appuyer pour le moindre geste de la vie quotidienne.
Les Tours se suivent et les BMW aussi, même à l'écran (petit) pour une une série télévisée intitulée "Dans la roue des géants". Diffusée en 1985 elle se situait en 1979, d'où cette R100 RT ou LT (ou 80) dont le carénage devait en faire pour longtemps la reine des motos GT (Photo TF 1).
Les péripéties d'un voyage au long cours sont nombreuses et parfois très inattendues. En 1987, le Tour de France fut bloqué au col de La Madeleine par des éleveurs de moutons en colère contre la baisse de leurs revenus. Réflexe du photographe : en faire une photo avec "son motard" à l'arrêt sur sa BMW K100, faute d'avoir des cyclistes dans le champ. Ledit motard est casqué mais aussi son passager dont le casque est pendu au guidon de la machine. Les traditions se perdent... (Photo AFP).
Années 50, le kiosque sur le terre-plein devant l'Opéra à la sortie du métro. Lorsque le kiosquier devait s'absenter, on prenait le journal et on laissait sa monnaie sur la pile...
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