En ces temps anciens du milieu du XXème siècle, un "clope" est un mégot, pas une cigarette, et le hamburger-coca se prononce "jambon-beurre-et-un-demi-siou-plaît". Il est moins cher si on le consomme au comptoir du bistrot. Pour le même prix on peut prendre un jeton afin de téléphoner - sans passer par "Le 22 à Asnières" - car disposer d'un téléphone chez soi est un privilège rare. Autant que d'avoir une voiture neuve que l'on obtient au bout de plusieurs mois d'attente. Ou d'années dans le cas de la Deuche ! Tout en sirotant le p'tit noir qui suit le sandwich et avec une Gauloises au bout des doigts, on parcourt le journal du jour que tout limonadier propose. En région parisienne, on a le choix entre la douzaine (!) de quotidiens qui va de L'Humanité au Figaro en passant par Le Populaire, La Croix, Combat, etc. Mais c'est France-Soir qui est le plus présent car ses multiples éditions, jusqu'à huit chaque jour lardées de prévisions hippiques, permettent de miser quelques sous sur les ancêtres de "Idéal du Gazeau" ou "Kesaco Phédo" dans des courses que l'on suit presque heure par heure. Tout autant que l'actualité en France et dans le monde. Un événement grave jette dans les rues des dizaines de vendeurs de France-Soir (les "camelots") criant la nouvelle et vendant le journal qu'ils sont allés acheter par paquets à la sortie des rotatives de l'immeuble du 100, rue Réaumur, dans le quartier des journaux. Aujourd'hui, en cas de semblables événements, on se hâte de rentrer chez soi pour voir ça à la télé. À l'époque, on sortait dans la rue pour acheter France-Soir (ou Le Monde) à un crieur de rues ou à un kiosque.
Un jour, ou plutôt un matin, ordinaire à France-Soir pour ce sidecariste qui charge la caisse de son Precision (en bois) attelé à une 750 BMW R12 comme celle insérée dans le texte ci-dessus. Cette machine était appréciée pour sa robustesse et le claquement caractéristique de ses soupapes latérales l'annonçait de loin. Interrogé, un motard des N.M.P.P. expliqua à Moto Revue qu'il était préférable d'être bruyant plutôt que de serrer le moteur en ne donnant pas assez de jeu à ces soupapes (?). Ces B.M.W. venaient des ventes de surplus par les Domaines (voir l'annonce de 1947 en début d'article) et comme elles étaient vendues en lots, seul un commerçant pouvait les acquérir, les remettre en état et les revendre. Les anglaises furent une spécialité de Clément Garreau et Paul Ladevèze tandis que les B.M.W. allaient chez Latscha, agent historique des flat-twins (qui n'étaient pas encore les "boxers" d'aujourd'hui).
Les kiosques ainsi que d'autres points de vente (librairies), sont alimentés par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (N.M.P.P.), une coopérative qui fait appel à une "flotte" de cyclistes et de motards. Les journaux sont ainsi distribués dès qu'une nouvelle édition paraît (cas de France-Soir). Le cycliste livre sur les courtes distances tandis que le motard, avec sidecar ou non, s'aventure vers la banlieue et les gares pour la livraison en province. Certains cyclistes et motards sont attachés directement à un journal. Les premiers portent les plis urgents, les petits paquets, les contraventions qu'on fait "sauter" à la Préfecture (le bon temps...), ils rapportent les passeports de la dernière minute, les photos des agences de presse, etc. Les motards en solo transportent un reporter ou, le plus souvent, un photographe qui sera rapidement sur les lieux d'une action et en reviendra d'autant plus vite afin de donner ses photos au labo.
Le métier n'est pas sans risques et si les chutes ne sont pas rares, elles sont rarement tragiques. Comme les motards, les suiveurs sont équipés de véhicules des surplus dont les Jeeps.
Avec l'été arrivent les vacances et un événement qui va déclencher l'enthousiasme des Français durant quelques semaines : le Tour de France cycliste ! Un temps de "petites vacances" aussi pour les motards de Presse. Ils ne sont plus limités aux frontières de la ville et de la banlieue puisqu'ils accompagnent le Tour. Étape après étape, Ils véhiculent sur leur tan-sad (abréviation de tandem-saddle = selle(s) en tandem) soit un reporter, soit un photographe dont il faudra parfois, le soir même, rapporter dare-dare les bobines de pellicules au siège du journal. L'un de ces motards a constitué un album-souvenir des photos de "son" Tour, celui de 1936, avec des clichés pris par son passager ou un autre "chevalier du diaphragme".
Les dessins sont de RED, un artiste qui travaillait pour Le Miroir des Sports en 1932. Moins connu que l'illustre Pellos mais cependant doté d'un talent certain que n'a pas oublié ce blog : montour1959lasuite.blogspot.com
En compagnie des bons copains (reporters ou motards) qui se retrouvent aux étapes du Tour, notre homme est à droite. Une bonne carrure était appréciée...
Ce Tour de France 1936 commença sous des trombes d'eau : la preuve par l'image ci-contre (photo "trouvée" sur le site podiumcafe.com) ! Réponse à la question que vous vous posez, oui, la machine est bien une Velocette. La marque de Birmingham a une image plus sportive qu'utilitaire, mais lorsqu'on travaille à L'Intran, on peut se laisser influencer par le périodique Match qui relatait les grandes compétitions de l'époque dont bien sûr le Tourist Trophy où s'illustrait Velocette. Alors consacré exclusivement aux sports, Match est édité par L'Intran au 100 rue Réaumur, qui deviendra le siège de France-Soir à la libération.
Peut-être pas de la pluie mais un épais brouillard sur une route tout juste empierrée. Pas facile pour les motos, mais encore moins pour les cyclistes.
La grande musette de toile en bandoulière (ensuite reposant sur le réservoir) était indispensable au motocycliste, et d'ailleurs souvent fournie par le journal employeur dont elle exhibait le logo. Détail cycliste : les professionnels n'avaient pas droit à un dérailleur, seulement deux pignons différents à la roue arrière qu'il suffisait de retourner à la demande.
Enfin le soleil dans le Midi "avé les platanes" au départ d'une étape où notre motard est déja aux avant-postes avec son photographe.
Les B.M.W. étant hors de prix en France, les anglaises avaient la cote à L'Intran / Match : de droite à gauche, Velocette, Velocette (la "nôtre"), Norton et Ariel. Pour les pilotes, lunettes et casquettes cyclistes de rigueur. Le casque ne sera utilisé que bien longtemps après la guerre.
À l'arrivée d'une étape bien arrosée car le poncho (dit "parapluie du cycliste") est aussi bien humide. Une photo à côté du vainqueur du jour, ça ne se refuse pas !
Les 15 jours de congés payés qui viennent d'être votés le 20 juin par le gouvernement de Léon Blum pousseront des milliers de Français au bord des routes tout au long du parcours. La Velocette est juste derrière cet échappé sur une rue pavée d'une ville à identifier.
Les coureurs sont loin dans la côte à la sortie de Cholet, mais la moto peut attendre son photographe et remontera facilement la caravane.
Encore des pavés et surtout les rails de tramways qui seront longtemps le cauchemar des cyclistes, champions ou simples touristes. On est sur un pont et la haie de spectateurs est impressionnante.
C'est le camion de L'Intran qui assurait la sonorisation aux étapes où l'on prend le temps de se restaurer, peut-être d'une coupe de cidre car au fronton du magasin à l'arrière-plan on peut lire "Crédit Industriel de Normandie". La veste de cuir trahit la fonction des motards de même que les lunettes sur les casquettes blanches. Le Velocettiste est toujours le plus repérable par sa taille.
C'est en 1932 que les gendarmes firent leur apparition sur le Tour pour mettre un peu d'ordre dans la caravane qui était pourtant loin d'être aussi monstrueuse que celle d'aujourd'hui.
La seule photo localisée avec certitude est celle-ci. Pour la bonne raison que son nom est visible sur le panneau Michelin derrière le peloton : c'est Marquixanes, dans les Pyrénées-Orientales.Chemisette noire, à droite, notre motard admire une caricature du champion André Leducq dessinée sur la malle arrière d'une voiture de Presse. Le personnage qui signe le portrait est sans doute Pellos car le style du dessin est bien dans sa manière illustrée ci-dessous.
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