Le parc français - La concurrence allemande vue par Sexé : B.M.W., N.S.U., Küchen - Danger des importations britanniques - Solex spécial pour Indian et Harley-Davidson - La France exporte ses motos - Quelques constructeurs marginaux français : André, B.H.R., Guenon, Janin Fred.
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Occupé d’avril à octobre par l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs, le Grand Palais ne pourra pas recevoir un Salon de la Moto. Regrettable décision qui intervient à un moment où notre industrie motocycliste accuse des défaillances. Même si l’année 1925 ne se révèle pas très riche en nouveautés dignes d’une exposition internationale, une absence de Salon ne peut être qu’à déplorer. Notre parc motocycliste qui s’augmentait de façon régulière en 1923 avec 39 % de croissance sur 1922 fléchit en 1924 : le pourcentage d’augmentation n’est que de 35 %. Il plonge fortement en 1925 où l’on enregistre seulement 22 % de mieux.
Cette situation est encore plus dommageable comparée à celle du vaincu de la guerre. Comme dans la France de 1919 qui vit naître les Blériot, Louis Clément, Janoir, etc, quantité de nouvelles marques naissent ou renaissent Outre-Rhin. Robert Sexé, visiteur assidu au Salon de Berlin 1924, en détaille les productions à longueur de pages dans Moto Revue. Et la revue rouge de s’interroger “ innocemment ” sur la viabilité de ces Horex, Victoria, DKW, Wanderer, Ardie, D Rad, NSU, Zündapp ou... BMW ! Avec la R32 (photo), les techniciens de B.M.W. fixaient les grandes lignes d'une mécanique qui allait traverser les années 20 sans présenter de modifications radicales. L'accent sera mis sur la fiabilité plutôt que sur la performance (roulements d'embiellage), et aussi sur le silence (chaîne de distribution en place de pignons). Fidèle à une politique commerciale qui a perduré, la marque fournissait déjà des accessoires de sa fabrication : éclairage, avertisseur, siège passager. Avec 16 ch au lieu des 8,5 de la latérales, la R37 culbutée apparue en 1925 viendra combler les amateurs sportifs. Le motocycliste français n'a guère de choix en cylindrée nationale comparable à l'allemande. Les Blériot, Lutèce, ABC, Janoir et autres Louis Clément ont disparu ou agonisent. Confidentielle est la twin Koehler-Escoffier, tandis que le prolifique Anzani n'intéresse les constructeurs que de façon épisodique (Griffon). Mis à part la D.S., dont on a vu la filiation franco-américaine et un programme Terrot qui s'arrête à 350 cm3, ne restent que la 500 Gnome-Rhône type "Champion de France" (ci-dessus) ou "Grand Sport". Cette dernière présente un frein arrière à tambour mais celui de la roue avant est encore du modèle sur poulie- jante. Rappelons que le frein avant fut longtemps considéré comme "le frein du désespoir"...
La réponse aux questions que Moto Revue se posait à l'issue du Salon de Berlin va venir des chiffres : en 1924, l’Allemagne comptait 97 965 motos contre 116 800 en France. Les chiffres s’inversent en 1925 : France 137 800 motos, Allemagne 161 508. L’écart ne va cesser de se creuser au profit de ce voisin qui aura bientôt l’intelligence de supprimer permis de conduire et impôt pour les moins de 200 cm3 (avril 1928).
Le plus important est peut-être que les motos françaises ont du mal à soutenir techniquement la comparaison avec les allemandes. La qualité de ces dernières, et Sexé le souligne, est très bonne. Le potentiel industriel allemand n’a pas souffert de la guerre qui n’a pas été portée sur son sol, rappelons-le. Un potentiel renforcé par la création de konzern, groupement de diverses entreprises réunissant capitaux et... matière grise. Les arsenaux de l’État se sont reconvertis dans l’automobile, à l’exemple de BMW qui produisait des moteurs d’avions pendant la guerre, ce que rappelle l’écusson en hélice stylisée apposé sur ses motos. Bien qu’ayant perdu l’Alsace et la Lorraine, la Poznanie et le sud de la Silésie, forcée de vendre ses aciéries du Luxembourg, contrainte à payer les Réparations de guerre (132 milliards de marks-or), l’Allemagne s’est redressée de façon spectaculaire après avoir surmonté une effroyable période d’hyper-inflation. La Ruhr, occupée par les troupes françaises, sera évacuée au printemps alors que la France s’empêtre au Maroc dans la guerre du Rif (Abd el-Krim).
Depuis 1924, le mark s’est donc consolidé. L’apport de capitaux étrangers, surtout anglo-saxons, attirés par des taux favorables a bien travaillé à ce redressement qui était aussi un moyen de contrer une éventuelle hégémonie française en Europe, mal vue par Albion...
Facilement dénigrée, la René Gillet 750 bicylindre et soupapes latérales était cependant la machine française la plus moderne de ces années. Son moteur simple, infatigable et puissant d'une dizaine de chevaux était servi par une boîte à 3 rapports, avec embrayage (au pied et à la main). Le modèle photographié ici est postérieur à 1925, sans doute 1930, mais comme il s'agit du type choisi par l'armée française en 1922 il n'a été que peu modifié dans les années suivantes.
Revers de la médaille, les machines allemandes sont très chères, ce dont Sexé se félicite car ainsi “ il n’y a guère lieu de redouter une concurrence à l’exportation ”. Il est vrai qu’à 2 000 marks (9 000 F) dans son pays d’origine, la BMW Sport, augmentée des droits de douane, aurait eu du mal à séduire un Français, tout comme la plus rapide des NSU qui grimpe à 13 000 F. Heureusement, ajoutait encore Sexé “ les usines ne peuvent suffire à satisfaire le marché national ”. Manière de consolation...
DANGER DU CÔTÉ DE NOS ALLIÉS ?
À l’abri de ces importations de l’est, nous sommes vulnérables au nord. Avec les BSA, Douglas ou Triumph issues des ventes des surplus, les Anglais ont conquis bien des utilisateurs, mais c’est un marché qui tend à faiblir et les motos s’usent. D’ailleurs un Ken Bartlett (portrait ci-contre), établi à Rouen où il est spécialiste des Douglas, BSA et Triumph ex-armée, annonce la liquidation totale de son stock de 200 tonnes de pièces détachées, précisant que “ aucune offre raisonnable ne sera refusée ”.
Les industriels britanniques ont pris le relais, faisant assaut d’offres en tout genre. Leur offensive porte en priorité sur les motos, bien sûr, dont les "agents" ou "représentants" se multiplient. Du plus grand constructeur au plus petit, ils sont tous là : A.J.S., BSA, Douglas, Excelsior, Francis-Barnett, Levis, Norton, Panther (Phelon & Moore), Powell, Raleigh, Rover, Sunbeam, Triumph. Régulièrement sont publiés des placards publicitaires, indiquant souvent le prix de leurs machines neuves, pratique rare chez les annonceurs français. Autre pays, autres méthodes commerciales... Cependant, au fil des mois, ces publicités se raréfient, du moins avec l’indication des prix. À la fin de 1925, une BSA 250 est affichée à un tarif inchangé (3 900 F) par rapport à celui de février mais en 1926, le tableau récapitulatif des motos disponibles sur le marché national ne mentionne aucun prix de machines anglaises ou américaines. Ces prix sont remplacés par la sobre mention : au cours du change. On a vu précédemment pourquoi.
Ce cours défavorable n'empêche pas l'importation d'accessoires d'Outre-Manche, voire de pièces plus importantes. Les moteurs J.A.P. voisinent avec ceux de Blackburne ou Sturmey-Archer. Ce dernier fournissant aussi des boîtes à vitesses ainsi que Moss, Burman ou Albion. Les pompes de graissage pour deux-temps Best & Lloyd sont assez répandues de même que les Lamplugh. Largement copiée, la fourche avant suspendue Saxon "d'origine" figure au catalogue de l'importateur parisien Munro qui propose la selle Leckie, les productions Handy (manettes et leviers au guidon), la selle Brooks qui concurrence la Terry. Nos carburateurs Zenith ou Longuemare doivent se défendre contre les Binks ou Amal auréolés de leurs victoires acquises au Tourist Trophy... ou dans des G.P. français. Il n'est guère de domaines d'où les spécialistes britanniques soient absents. Ils ne sont intimidés par aucun marché, pas même celui des cyclecars où le Morgan fait irruption par le biais d'une construction sous licence qui affronte la concurrence féroce de nos 29 marques nationales.
CÔTÉ USA : UN PEU PLUS CALME
Lorsqu'on a annoncé que des Blériot allaient équiper la police parisienne, la presse commenta abondamment la nouvelle, photo à l'appui. Dans les faits "les" Blériot n'ont guère laissé de traces de leur activité, aucune à vrai dire. Bien plus tard, la police portera son choix sur les René Gillet dont le bicylindre latéral éveilla sans doute le souvenir de ses Harley-Davidson.
Comme les britanniques, les deux grandes marques américaines, Indian et Harley-Davidson ont aussi leurs agents ainsi que Cleveland, mais la concurrence des gros twins des surplus reste rude, malgré une consommation de carburant que s'efforce de juguler des spécialistes tel Solex (publicité ci-dessous). Le nombre de motocistes qui commercialisent des pièces de rechange (toutes les pièces) n'a pas diminué, bien au contraire tandis que les revendeurs officiels s'épuisent à proposer leurs pièces d'origine "avec le cachet du constructeur". Un recensement rapide des "spécialistes" Harley-Davidson ou Indian dont les publicités ont été relevées dans Moto Revue arrive au chiffre de 22 magasins dans Paris intra-muros, auxquels il faut ajouter ceux qui ne font pas de publicité. Même situation dans les grandes villes de province désireuses de bénéficier de la manne américaine. Par exemple, les Ets Delrieu disposent de pièces neuves ou occasion " gros et détail" pour les Harley et Indian. Rien de très original, sauf que M. Delrieu pratique son commerce à l'enseigne de Limagne-Aurillac (Cantal)...
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Attaquée sur le front intérieur par les constructeurs britanniques et (un peu moins) par les américains, la France se bat à l'exportation. Avec un léger succès, puisque selon des chiffres portant sur 1924, nous avons exporté 3 104 machines alors que seulement 670 ont été importées sur notre sol. Le détail des marques de ces dernières ne sont pas connus. Pas plus que celui de celles que nous avons envoyées à "l'étranger" où notre meilleur client a été l'Espagne (376 machines), suivie de l'Allemagne (320), la Suisse (275), Belgique (259), soit presque 1/3 du total. Un autre 1/3 est dispersé dans divers pays en majorité européens. Enfin le dernier 1/3 est parti vers nos... colonies, départements d'outre-mer et protectorats divers, autrement dit un marché "captif" y compris dans la Sarre occupée qui a acheté 619 machines sur les 882 de ce 1/3 restant.
Le chiffre important de machines françaises exportées en Sarre soulève une question. Pourrait-il s'agir de ces Gnome-Rhône D livrées tout à fait légalement en pièces détachées et remontées ensuite par le francophile Paul Hügel ? Elles étaient vendues sous le nom de Trumpf-Ass puis Trumpfass, puis T.A.S. (Trumpf-Ass-Saarbrücken) selon les années et pour satisfaire la marque allemande Triumph qui invoquait une confusion possible entre les deux marques.
MARGINAUX FRANÇAIS – GÉNIES MÉCONNUS
Ayant renoncé à leur premier slogan dont les initiales composaient leur marque – Accessibles à tous – Nécessaire aux travailleurs – Durables – Rapides – Économiques, les Ets Bourdais se sont convertis à la publicité illustrée (voir exemple ci-contre). On peut se demander si le dessin était indispensable... pas plus que celui qui ornait la couverture de leur maigre catalogue (ci-dessus). Celui-ci aurait fait le désespoir de l’écrivain Anatole France qui, à en croire le constructeur des sidecars P.E.U.P.L.E. aurait déclaré : “ Je ne sais rien de plus attrayant que la lecture d’un catalogue ”. P.E.U.P.L.E. parlait d’or : son propre catalogue comportatit 200 pages !
Régulièrement ressuscitée depuis les origines du deux roues motorisé (et jusqu'à nos jours !), la trottinette à moteur dans sa version 1925 est cette fois une traction avant (autre vieille lune de la motocyclette). Elle utilise en effet utilisant un moteur “ emprunté ” à la Roue Motrix d’Alcyon. Normalement prévu pour remplacer une roue avant de bicyclette et se retrouvant monté ici dans une jante de 14’’ environ, ce moteur devait permettre de laisser des traces de gomme sur le bitume au démarrage ! Aucune autre information n'a été découverte sur cette machine qui n’a toujours pas de nom à ce jour. Sa parfaite exécution laisse penser qu'il ne s'agit pourtant pas d'une réalisation personnelle. Toujours inscrite au catalogue Alcyon, la roue Motrix montée dans une bicyclette se distinguera au Bol d'or en remportant la victoire en 75 cm3, parcourant 806 km aux mains de Pays devant son co-équipier Verdoux (729 km).
CELLE QUI N'A PAS SUPPORTÉ L'HIVER
À peine plus connue, la B.H.R. a laissé deux dessins comme traces de son passage sur Terre. L’un représente une bien rustique fourche pendulaire sur ressort à lames. L’autre figure un moteur original par son fût de cylindre tronconique et fixé sur le carterd’une façon bien personnelle sinon fonctionnelle.B.H.R. se singularise (entre autres) par le positionnement original de son décompresseur fixé horizontalement sur le dessus du cylindre.
Deux B.H.R. participeront aux Six Jours d’Hiver sans parvenir à l’arrivée de cette épreuve assez difficile car disputée en février. Elle consistait en 6 étapes en étoile autour de Paris à moyenne et kilométrage imposés selon la cylindrée (de 189 à 323 km), et 25 kmh pour les “ tout petits ” dont faisaient partie les B.H.R. avec leur 75 cm3 (en réalité 62 cm3, semble-t’il). L’une devra abandonner dans la première étape de 237 km, ayant accumulé les retards aux contrôles (pilote : Pierson). Malgré une chute de son pilote Renaud dans la première journée, l’autre entamera la seconde étape mais ne terminera pas. Les B.H.R. ont disparu avec leur secret.
Malchanceux sur la B.H.R. des Six Jours, Renaud tente la chance quatre mois plus tard au Bol d’Or sur une machine mystérieuse : la Guénon. Cette fois on en connaît la silhouette grâce à une mauvaise photo (qui doit beaucoup à “ Photoshop ”, il faut
l’avouer alors que son moteur 175 cm3 est immortalisé par un dessin. On comprend pourquoi il a attiré l’attention du dessinateur car il s’agit d’un deux-temps au vilebrequin longitudinal dont l’extrémité arrière porte le changement de vitesse par plateau avec galet de friction, une technique toujours originale sinon efficace. Renaud finira 16ème et bon dernier de sa catégorie, ayant parcouru 808 km contre 1454 km au premier, Dupont, sur 175 D.F.R.
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