La moto exerce une évidente fascination sur les cinéastes, mais à de rares exceptions près ils maîtrisent mal leur sujet. Ils font comme si le public était ignare (il l'est un peu..), mais ils ne font rien pour faire son éducation, par exemple lorsqu'il s'agit du son. Pourtant si, à l'écran, un acteur allume une cigarette, son briquet ne fait pas un bruit de chalumeau ; si une actrice à talons hauts se met à courir, ses pas n'évoquent pas une horde de bisons ; un téléphone qui sonne ne réveille pas tout un immeuble. Il paraît que dans le cas de la moto, il y a un problème, m'a confié un ami qui travaille dans le son (*). Et c'est pourquoi une BMW fera un bruit de Mobylette pendant qu'un Solex imitera une Vespa. Et encore, à condition que le son soit synchrone avec l'image !
Pour une expérience a contrario, voyez, ou plutôt écoutez ce qu'on peut faire lorsqu'on aime et qu'on connaît son métier : allez à MV 500 3 cylinder sur le forum suivant http://forum.fatclub.fr/viewtopic.php?f=14&t=53&start=90 Vous aurez 26 secondes de pur bonheur. N'hésitez pas à monter le son de l'ordi, sauf si vous êtes au boulot évidemment, sinon vous allez réveiller tout le monde, y compris les vigiles de la Sécurité, le service Incendie et votre patron !). Donc, pour le son on devra attendre encore, mais pour l'image on se paye aussi notre fiole, et ça c'est un problème facile à résoudre. Alors que le boulot de la scripte est de veiller à ce que la cravate du héros ne passe pas du vert au rouge à rayures entre deux plans, ou qu'il monte dans une D.S. 19 et descende d'une 504. Il ne faut pas non plus qu'un Louis XV signe un décret avec un Waterman, mais à côté de ça on a - exemple emblématique mondialement connu - un Steve McQueen qui s'évade sur une Triumph absolument anachronique ! Ne nous attardons pas.
(*) Il a dirigé un collectif de professionnels qui ont écrit "Le Livre des Techniques du Son" en trois volumes. 1/ Notions fondamentales. 2/ Technologie. 3/ Exploitation. Chez Dunod Éditeur.
On a une petite idée sur la raison de ce choix qui a dû être dicté par l'acteur lui-même, trouvant là l'occasion de se faire plaisir. Son plaisir et son ego avec. Car son image n'aurait pas été la même s'il s'était évadé au guidon d'une "utilitaire" NSU 251 OSL ou 250 BMW en phase avec l'époque. Avec lesquelles son vieux pote Bud Ekins aurait fait les mêmes cascades puisque c'est lui qui doublait Steve... mais c'est ainsi qu'on se forge une légende.
Côté français, on n'a rien à envier aux Américains puisque dans La Gifle (Claude Pinoteau,1974), Jacques Spiesser enlève Isabelle Adjani sur une rutilante et bleue Motobécane 3 cylindres. Jusqu'ici, tout va bien...
... mais par la suite ça se gâte car la Tobec finira sa carrière dans une mare sous la forme d'une Monet-Goyon (ou Koehler-Escoffier). C'est une vraie cascade puisque signée de Rémy Julienne, notre grand spécialiste de réputation mondiale. Pour la postérité, on signalera que la place d'Isabelle Adjani derrière Julienne était tenue par Odile Astier (1941-1980). Seule cascadeuse à l'époque, elle a réchappé de l'accident de Renault Floride qui, en 1966, coûta la vie au célèbre cascadeur Gil Delamare. Elle-même devait décéder aux États-Unis dans une cascade.
Grâce au "Jean Goyard Illustré" vous saurez tout sur cette Monet-Goyon ou K-E ou même Riva Industries puisqu'elle fut produite sous ces trois appellations. Donc, c'est une M.2.V.D.O. Tourisme Luxe de 1955 (après, l'échappement passe à gauche), de 200 ou 232 cm3 développant 8 ch. L'oscillante arrière est munie des illustres "correcteurs" qui firent la gloire, sinon la fortune de l'ingénieur Grégoire. Cette oscillante présente aussi des amortisseurs Allinquant. Ceux de Grégoire n'était donc pas magiques ? La fourche était à "flexibilité variable", pour autant que l'on sache en quoi cela consistait... (Sur ces mâconnaises, on trouve tout dans les trois volumes signés de Jean Goyard et produits par Le Club du Vieux Guidon, 284, rue de Saint-André 01750 Replonges (pas de téléphone ni mèle, j'espère que c'est toujours valable).
MAINTENANT ATTENTION CAR C'EST DU LOURD : DIRTY HARRY PREND LES COMMANDES !
... Enfin, pas tout de suite car ce sont d'abord trois policiers motards (faux mais vrais ripoux) qui pourchassent Harry Callahan avec leurs Guzzi California siglées "S.F.P.D." soit San Francisco Police Department. Il arrive à en descendre un (ou peut-être bien deux ?) et récupère une moto qui, miracle...
... devient instantanément une Triumph. Elle n'a pas changé de couleur ni d'accessoires (phares et sacoches rigides) mais elle est bien plus agile que le bicylindre en V italien. Ce qui va s'avérer utile dans la suite de l'action...
... car, devenu chasseur à son tour, Harry pousse le dernier ripou à la faute, qui termine sa course dans la baie de San Francisco. Lui aussi avait bénéficié du tour de magie qui transforme les Guzzi en Triumph. Hasardons maintenant une explication : à l'époque, Guzzi fournissaient certaines polices étasuniennes et il se pourrait que celles du film (ah, oui, j'oubliais son titre : "Magnum Force") aient été prêtées avec leurs pilotes par le S.F.P.D. à qui il fallait les rendre. Ce qui n'était pas le cas de l'unique Triumph car, de mémoire, on n'en voit jamais plusieurs dans le même plan. Et une seule tombe à l'eau.
Encore un anachronisme dans "La Bataille de la Neretva" (1969) où l'on voit ces deux partisans rejoindre les forces menées par Tito qui luttent contre les Italiens alliés aux nazis en Yougoslavie. Leur BMW est une bien visible Serie 2 apparue en 1955 alors que la bataille en question s'est déroulée en... 1943.
Dans le genre "fiction-historique", tout semble permis ce qui explique déjà l'uniforme de fantaisie de Roger Moore, l'un des héros de "Escape to Athens" (traduit par un désinvolte imbécile en "Bons baisers d'Athènes"). De fantaisie également le side Ural qui l'accompagne pour faire joli puisque ce n'est pas lui qui la pilote dans les rues étroites de la capitale grecque. On y a droit à une séquence d'anthologie, qui devrait passer en boucle dans les écoles d'apprentis-cascadeurs (si ça existe).
Évidemment, lorsqu'on a Sean Connery et Harrison Ford dans un même film, il ne reste plus beaucoup d'argent pour se payer une vraie moto allemande. Alors on n'en a que le moteur (Indiana Jones et la dernière Croisade - 1989).
Une moto dans un western, ça s'est déjà vu, mais la plupart du temps, il s'agissait d'une Harley ou d'une Indian. Avec "Big Jake" (1971) on a franchi une étape vers l'invraisemblance avec ce godelureau qui sillonne les collines plein pot. À la poursuite de méchants, il finira pas se prendre une balle ce qui met fin à cette navrante séquence, au grand soulagement du spectateur. On aura eu le temps de reconnaître une 360 Yamaha RT (1 ou 2 ?), surchargée d'affûtiaux destinés à dissimuler sa télescopique et son oscillante arrière. Dans un film censé se passer en 1909, ça faisait tache.
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