Un récit entièrement d'époque à savourer en prenant son temps, d'après La Revue du Touring Club de France (juillet 1905)
LE TANDEM À PÉTROLE
Ce que l'on peut en obtenir
"Aujourd'hui que beaucoup de futurs motocyclistes demeurent anxieux devant la solution à prendre entre les motocyclettes lourdes et légères, permettez-moi d'apporter quelque lumière sur la question, en vous donnant les résultats d'une expérience personnelle sur un instrument qui jusqu'à présent n'a pas été, que je sache, très étudié. Je veux parler du tandem à pétrole.
Possédant un tandem ordinaire, à simple direction, et de construction robuste, poids 27 kilos, pneus de 700 x 55, j'y fis ajouter un moteur de 70 m/m d'alésage et 75 m/m de course (NDLR : 300 centimètres cube), donnant au frein 1 ch. 3/4 à 2 chevaux. Refroidissement par ailettes. Volant extérieur. Réservoir maintenu sur le cadre par quatre écrous molettés permettant l'enlèvement rapide pour la mise aux bagages (sic). Transmission par courroie trapèzoïdale. Pas de carburateur ; l'essence, réglée par un pointeau, coulant directement dans le tube d'aspiration d'air. Poids total, 57 kilos.
Une première particularité : le volant porte deux poulies de diamètres différents, permettant de mettre la courroie sur l'une ou l'autre, suivant que je roule en terrain peu accidenté ou en fortes côtes. La plus grande donne un rapport de 1 à 6 entre le moteur et la roue arrière, et la petite 1 à 7,5. Il faut naturellement, pour changer la vitesse, descendre de machine et remettre ou enlever un petit morceau de courroie ad hoc. Les agrafes sont en forme de C, peu coûteuses, faciles à placer ou à retirer; l'opération demande quinze à vingt secondes. Je ne me sers, du reste, de la petite poulie que lorsque les côtes dépassent 5%.
Le moteur est à l'avant, logé dans le cadre, de sorte que l'équipier arrière n'a absolument rien à faire et peut même ne pas savoir monter à bicyclette. La seule chose qui lui est demandée, c'est d'aider au départ en actionnant les pédales.
Les selles sont placées suffisamment basses pour que l'on puisse toucher terre avec les pieds tout en restant en machine. Cette position, très favorable pour les départs et arrêts sur place, donne beaucoup d'assurance dans les terrains glissants et les virages, mais, par contre, retire de la force pour pédaler.
Enfin deuxième particularité, qui a la plus grande importance en pays montagneux : ce moteur, dont la culasse et le cylindre sont à ailettes, reçoit, lorsque l'on se sert de la petite vitesse, un refroidissement suplémentaire, par de l'eau tombant goutte à goutte d'un réservoir de deux litres placé près de celui à essence. Cette eau coule dans une petite coupelle, percée de trous à l'arrière seulement, de façon que l'eau vienne refroidir les ailettes postérieures, alors que celles d'avant, placées en plein courant d'air, chauffent beaucoup moins Évidemment beaucoup de mécaniciens vous diront qu'en projetant ainsi de l'eau froide sur un moteur presque rouge (NDLR : !!!!!), vous risquez de le casser. Théoriquement c'est très vrai, mais pratiquement, je l'ai essayé depuis trois ans sur trois moteurs différents sans aucun accident. La consommation d'eau est d'ailleurs très réduite, puisqu'elle n'existe que dans les fortes côtes. A titre d'exemple : j'ai consommé deux litres d'eau pour monter de Bourg-Saint-Maurice au Petit-Saint-Bernard - soit 27 k. à 6 et 7 %. Il est entendu que dans toutes les montées dépassant 4 à 5 % nous avons presque toujours pédalé, mais sans exagération, de manière à maintenir toujours le moteur en haleine. Voici une excursion, typique par la diversité des altitudes, faite en pleine montagne, avec cet appareil, au mois de juillet 1904.
Première journée
Paris, départ le 12 juillet au soir, train jusqu'à Lyon, arrivée à 3 h. 30 du matin, visite de la ville en finissant par la Vierge de Fourvière, bien haut perchée, pensait le moteur qui nous abandonne à la moitié du chemin, grâce du reste à l'indigène facétieux qui nous avait indiqué le raidillon le plus dur, en haut duquel nous trouvons - oh ! ironie - un écriteau : "Route interdite aux vélocipédistes".
Départ pour les Echelles par Bourgoin, 43 k. ; la Tour-du-Pin, 56 k. ; Pont-de-Bonvoisin, 73 k. ; Saint-Béron et enfin les Echelles, 88 k. où nous déjeunons. Jusque-là le terrain avait été peu accidenté, mais après le déjeuner nous abordons la montagne par Saint-Pierre-d'Entremont, 12 k. ; Chenevey, les Vialles, 3 k. 5 à 10 % ; col du Cucheron, altitude 1180 m. - 20 km - puis descente très rapide de 17 k. sur Saint-Pierre-de-Chartreuse et l'Hôtel du Désert, 25 k. Visite de la Grande-Chartreuse et retour à l'hôtel où nous couchons.
Deuxième journée
Départ par le col de Porte, 8 k. de montée à 8 % en moyenne, mais après, belle descente de 17 k. sur Grenoble, en passant par le Sappey. Vue splendide sur les vallées de l'Isère et du Drac entourées de hautes montagnes. Connaissant déjà la ville, nous repartons immédiatement sur Pont-de-Claix et Vif, 46 k. - Déjeuner succulent à l'hôtel du Nord où nous tombons en pleine bombance. A l'occasion du 14 juillet, la compagnie des sapeurs-pompiers était invitée à déjeuner par son capitaine ou inversement, et nous profitons du menu qui se termine par une glace à la vanille, gourmandise appréciée vu la température sénégalienne.
En raison de la chaleur et sur les indications qui me sont données, je renonce à grimper à Laffrey par la route, et à Saint-Georges-de-Commiers nous prenons le train qui nous monte, avec notre véhicule, à la Mure, panorama merveilleux, changeant à chaque zigzag de la voie qui escalade ou contourne les rochers, avec le Drac coulant au fond de l'abîme.
À la Mure, nous repartons sur Pont-Haut avec l'intention d'arriver avant la nuit à Bourg-d'Oisans. malheureusement une crevaison de pneumatique nous oblige à coucher à Valbonnais, 13 k.
Troisième journée
Le lendemain matin, obligés de recommencer la réparation du pneu trop hâtivement exécutée - nous partons pour Entraigues, le Périer, le Chalp et le col d'Ornon, 33 k. (altitude 1318 m.), descente sur la Paute où nous trouvons trois automobiles arrêtées par l'empierrement complet de la route nationale jusqu'à Bourg-d'Oisans, 46 k. - Après avoir acheté de l'essence nous filons vers Pont-Saint-Guillerme.
Le tandem monte avec brio la rampe des Commères où nous dépassons deux autos en mal de carburation. Puis le Frêney, le Dauphin, jolie cascade sur la route. Nous rencontrons une malheureuse petite 6-chevaux portant cinq voyageurs qui s'essoufle à monter ces pentes à 8 k. à l'heure. Enfin la Grave, 72 k., où nous nous attablons sur la terrasse de l'hôtel de la Meije pour siroter l'apéritif en contemplant les glaciers de la Meije. Malheureusement, comme l'étape de l'après-midi sera dure et longue, nous ne pouvons nous attarder et, remontant en selle nous arrivons au Lautaret, 84 k., pour déjeuner. Au café, nous voyons arriver la voiturette et son contenu qui a mis deux heures pour faire 19 k. Par contre, je constate que les grosses voitures montent toutes ces côtes à bonne allure, et je propose à quelques chauffeurs avec qui nous avons déjeuné de nous accompagner au Galibier, mais les lacets de la route que l'on voit depuis la terrasse de l'hôtel les effrayent et tous préfèrent descendre sur Briançon.
Après déjeuner, départ pour le Galibier par la route nationale. Tout va bien jusqu'à la bifurcation de la petite route qui monte au col, mais là, le tournant est si brusque que le tandem nous débarque à moitié dans le fossé. Nous remontons tant bien que mal, car la pente est excessivement raide, 12 à 14 % et la route est très étroite, mais au tournant suivant, même incident. Devant les difficultés de tourner et de conserver en même temps l'équilibre dans des virages aussi raides et l'obligation de pédaler énergiquement sans couper l'allumage pour ne pas être calé, je préfère laisser ma femme monter à pied par les raccourcis et j'enfourche le tandem qui, allégé de presque la moitié de son chargement, grimpe à toute allure, m'obligeant à quelques acrobaties dans les virages où tour à tour je frise le ravin d'un côté et le talus de l'autre. Je me demande comment une 20 chevaux pourrait franchir ces tournants en hélice et à angle aigu. Quant aux voiturettes, à moins d'une multiplication spéciale et d'un supplément de provision d'eau, je doute fort qu'elles escaladent ces pentes : 6 k. de 8 à 12 %.
Arrêt à l'entrée du tunnel (altitude 2450 m.) et coup d'oeil en arrière sur la magnifiques sommets et glaciers de l'Oisans et du Pelvoux. Par suite des infiltrations, la chaussée du tunnel est recouverte d'une couche de boue tellement épaisse que nous préférons le risque d'une chute plutôt que de marcher dans ce mortier gluant. Nous remontons donc en machine et, le dieu des cyclistes aidant, nous arrivons sans accroc de l'autre côté du col où un banc du Touring Club se trouve à point pour permettre, tout en se reposant, de contempler les montagnes de la Tarentaise. Descente rapide, 5 à 7 % avec lacets et cailloux roulants, sur Bonnenuit et Valloire, 26 k. La route remonte ensuite, 3 à 4 %, sur le fort du Télégraphe où l'on traverse un second tunnel. Panorama impressionnant sur la vallée de l'Arc. Descente de 12 k., 6 à 8 %, jusqu'à Saint-Michel-de-Maurienne, 44 k., à travers une magnifique forêt. Monument rappelant la mort tragique du capitaine de France.
A moitié de la descente, un mulet sans conducteur, tirant devant nous une charrette qui paraît vide, s'emballe en entendant le moteur et, malgré notre arrêt presque instantané, va embrasser le talus en cassant ses brancards et réveillant le charretier couché à plat-ventre dans sa voiture. Inutile d'ajouter que nous sommes accueillis par une bordée d'injures, dans un français agréablement panaché d'italien. Cette colère fut d'ailleurs subitement coupée par la verte réplique de trois cyclistes qui, descendant derrière nous, avaient suivi les diverses phases de l'incident.
Pour souffler un peu, et rêver, le lecteur pourra se livrer à un examen des Petites Annonces e ce même numéro de juillet 1905 de la Revue du Touring Club de France. On remarquera qu'une machine perd en moyenne 50 % de son prix de neuf...Nous continuons à nous diriger vers l'Italie. Le moteur monte avec entrain la rampe assez dure, 6 à 7 %, jusqu'aux forts de l'Esseillon, mélange bizarre de fortifications naturelles et artificielles, cependant bien à la merci de l'artillerie moderne. La route devient moins dure jusqu'à Termignon (nous crevons encore un pneu), puis montée de 8 % sur 1200 mètres, et enfin Lans-le-Bourg, 26 k. Au bureau de douane, je demande un passavant, annonçant mon intention de passer immédiatement la frontière, ce qui n'est pas vrai, mais comme je crains de ne pas trouver de mulet à Bonneval pour porter mon tandem, il me faudra dans ce cas revenir sur mes pas pour traverser le Mont-Cenis.
A la sortie du village, nous abandonnons donc la route nationale pour prendre à gauche celle de Lans-le-Villard, où commence la montée du col de la Madeleine (4 k. à 8 ou 10 %), puis une descente, et le terrain se maintient ensuite, presque plat, jusqu'à Bessans et Bonneval, 46 k. (altitude 1835 m.). Depuis Lans-le-Bourg, dans tous les villages traversés, les rues pavées avec de gros galets ont environ deux mètres de largeur et au milieu d'un de ces petits pays nous avons vu une automobile engagée dans la rue principale, ne pouvant plus avancer ni reculer, les moyeux des roues raclant les murs des deux côtés. Mais, comme voirie, Bonneval dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Les rues n'y sont plus que des sentiers muletiers dont la roche et quelques grosses caillasses forment la chaussée et qui zigzaguent autour de maisons plantées à la diable, construites en bois, où grouillent pêle-mêle les bambins et le bétail. Il nous faut d'ailleurs traverser tout le village pour aller au Chalet du Club Alpin où nous déjeunons en compagnie d'officiers de chasseurs alpins qui nous mettent la mort dans l'âme, en prétendant qu'aucun mulet ou guide ne pourra nous faire passer le col du Mont-Iseran avec notre véhicule, les chemins étant trop escarpés et à peine tracés. Allons-nous donc être obligés de rebrousser chemin ? Je commence à le croire. En effet, un premier guide mis en présence de l'appareil se contente de sourire, nous regarde avec les yeux compatissants qu'on a pour les toqués et fait demi-tour en haussant les épaules.
Enfin, après avoir examiné, soupesé, prit des mesures, un autre guide plus entreprenant, nommé J.-J. Culet, me dit qu'il est absolument impossible de mettre le tandem sur un mulet, mais qu'en l'amarrant avec une forte gaule de chaque côté, il se charge de le porter à l'épaule avec son fils jusqu'au Val d'Isère.
Je puis bien le dire, je fus tout d'abord suffoqué, car porter sur les épaules 60 kilos, plus les bois et cordes d'arrimage, soit au total 80 kilos à deux hommes, les monter de mille mètres d'altitude et les descendre d'autant était vraiment audacieux.
Nous voilà donc partis, à deux heures de l'après-midi, sous un soleil de plomb, derrière nos deux porteurs qui escaladent péniblement et avec de fréquents arrêts le sentier de chèvres qui débouche dans la vallée de la Lenta. Là, nous essayons vainement de faire rouler le tandem parmi les grosses pierres. Le ciel commence à se couvrir et de gros nuages noirs passent au-dessus de nos têtes. Nos deux montagnards activent le pas, mais déjà de larges gouttes crépitent autour de nous et nous arrivons trempés, malgré nos pèlerines, au refuge du col du Mont-Iseran où le Touring-Club a fait installer un banc.
Un arrêt d'une demi-heure nous permet de laisser passer le plus gros de l'orage (celui qui emporta du reste une partie du village de Bozel dont nous n'étions éloignés à vol d'oiseau que de quelques kilomètres). Le spectacle est inoubliable, les éclairs à chaque minute nous montrent les silhouettes noires des montagnes se découpant sur un ciel enflammé. Le bruit du tonnerre renvoyé d'écho en écho est ininterrompu. les guides eux-mêmes se montrent effrayés et éloignent le tandem à une centaine de mètres car, prétendent-ils, l'acier attire la foudre. Enfin, les gouttes sont plus clairsemées et, pressés par la nuit qui s'avance, nous repartons, mais en descendant cette fois. Les malheureux porteurs sont encore une fois obligés de mettre le tandem à l'épaule, ne pouvant le faire rouler sur le sol inégal et rocailleux.
Si la descente pour ces pauvres gens fut douloureuse, pour ma femme et moi elle devint épique. N'ayant pas le pied montagnard et avec des chaussures dont la semelle vierge de clous n'offrait aucune prise sur la boue gluante ou l'herbe mouillée de ces talus à 45 degrés, nous avons fait des kilomètres sur les parties charnues "oh ! très peu" de nos individus. A peine relevés, une glissade nous affalait à nouveau sur le postérieur et alors commençait une course vertigineuse jusqu'à ce qu'une souche traître et malencontreuse arrêtât notre élan au grand détriment de notre fond de culotte et de son contenu. Et pendant ce temps, les guides chargés de leur fardeau dévalaient les pentes au petit trot, sans un faux-pas, sans une hésitation, presque dans l'obscurité, car la nuit était venue. Enfin, bien au-dessous de nous, dans le fond de la vallée, nous apercevons les lumières de Laissenant et finalement, vers dix heures du soir nous atteignons les premières maisons. Du reste, il était temps, nos montagnards sont tellement exténués que l'un d'eux est pris d'une légère syncope. Les touristes qui ont fait cette excursion pourront se rendre compte de l'effort prodigieux développé par ces hommes qui, portant pendant sept heures un poids de 80 kilos bringuebalant dans les reins ou sous le menton, ont parcouru un terrain aussi accidenté. À l'hôtel Parisien de Val d'Isère, malgré l'heure tardive, nous sommes très bien accueillis par une aimable hôtesse qui nous donne à dîner.
Cinquième journée
Le matin, excursion à pied au lac de Tignes et retour à l'hôtel pour déjeuner. Ensuite, départ en machine pour Tignes, les Brévières, la Thuile, Sainte-Foy, et descente continuelle jusqu'à Séez (29 k.). Il est cinq heures, et comme tous les jours à cette heure-là, le ciel est obscurci par de gros nuages venant de l'ouest. Mais nous comptons sur notre chance et, sans hésitation, car il nous faut arriver avant la nuit au Saint-Bernard, nous attaquons la côte de 26 k. à 6 % qui doit nous mener à la frontière italienne. Fort heureusement le moteur est à point, et nous nous arrêtons seulement à mi-chemin, sur un banc du Touring Club, pour admirer le paysage. Devant nous se déroule la vallée de l'Isère, en aval ; à gauche, le dôme neigeux du Mont-Pourri. Enfin, plus à gauche, la vallée de l'Isère côté Tignes, celle que nous venons de descendre. Nous repartons et à sept heures exactement nous étions au col. Pour faire viser mon passavant je cherche la maison douanière indiquée sur mon plan et je trouve... un gendarme qui, me montrant la petite guérite délabrée et vide, m'annonce avec calme que le bureau de douane est à Séez, et que je n'ai plus qu'à redescendre mes 26 kilomètres si je désire être en règle. Tableau !
Fort heureusement je me souviens que mon passavant m'a été délivré à Lans-le-Bourg, c'est à dire par un poste douanier près de la frontière italienne. Par conséquent, lorsque je rentrerai en France, l'Administration que l'Europe, etc..., ne saura pas si je suis passé en Italie par le Saint-Bernard plutôt que par le Mont-Cenis. Et alors, sous les yeux ahuris du brave Pandore effaré de notre mépris pour les lois de son pays, nous passons délibérément la frontière et arrivons devant l'hospice. Là encore, deux gendarmes, italiens cette fois, jouent aux quilles dans le milieu de la route tout en louchant vers mon réservoir à pétrole qu'ils prennent pour un appareil photographique (instrument absolument interdit dans ces régions). En Suisse, Moto Rêve et Motosacoche ont un tandem à leur catalogue, de même qu'un autre constructeur hélvétique moins connu : Moser. Lequel se distingue par une machine à direction double !
À l'hospice du Petit-Saint-Bernard, dîner quelconque - potage au jus de racines plutôt fade. Les chambres ne sont pas numérotées mais désignées par des noms de saints. Ainsi on nous donne la chambre Saint-Anselme. Ne cherchez pas de miroir non plus, dans l'austère établissement la coquetterie est interdite, nos chaussures sont couvertes d'une épaisse couche de cirage, mais la brosse à reluire est inconnue.
Dans la soirée arrivent trois malheureux chauffeurs français venant d'Italie et poussant devant eux une voiturette dont le moteur surchauffé refuse à peu près tout service.
Sixième journée
Descente sur la Thuile, douane italienne, passavant, plomb, etc... puis Pré-Saint-Didier ; nous remontons à Cormayeur, 26 k., où nous déjeunons et faisons connaissance avec un plat italien, le ravioli, excellent.
Nous remontons aussitôt après déjeuner sur le tandem qui nous conduit par Entrèves jusqu'au pied du glacier de la Brenva. Vue splendide sur les Grandes Jorasses et le massif du Mont-Blanc, complètement à pic de ce côté. Mais, en gens qui ont l'admiration rapide, nous redescendons aussitôt sur Courmayeur, Pré-Saint-Didier, Morgex, 40 k. Nombreux châteaux forts et citadelles tout le long de la vallée. les rues des villages traversés et beaucoup d'enseignes sont en français. La chaleur suffocante et l'épaisse couche de poussière soulevée par le passage des véhicules font de cette vallée, pourtant bien jolie, une véritable fournaise. Enfin Aoste, 66 k. Visite de la ville, les rues pavées avec de gros cailloux ont toutes le ruisseau au milieu avec un écoulement continuel d'une eau claire et limpide. La cathédrale, monument bizarre avec un grand luxe de peintures. La mairie porte en toutes lettres à son fronton les mots bien français : HOTEL DE VILLE. Par contre, sur la place d'armes, un régiment italien fait la manoeuvre de canons de montagne.
Un voiturier à qui nous demandons des renseignements sur la route de Saint-Rhémy, nous propose sa patache qui doit partir demain à cinq heures car, dit-il, la route est très dure. Malgré ce mauvais présage et l'heure tardive, nous partons quand même. En effet, certaines partie de la route ont des pentes excessivement raides et nous devons aider sérieusement le moteur. Cependant nous arrivons à Saint-Rhémy, 50 k., pour dîner. Pour un si petit village où les rues ont 20 à 25 % de pente et les maisons construites dans le genre de celles de Bonneval, nous trouvons là un hôtel très confortable.
Fabricant de guidons, porte-bagages, roues, etc. JOG avait un tandem à sa marque. La clientèle lui ajoutait le moteur de son choix.
Septième journée
Le matin, remise à la douane italienne de notre passavant, puis ascension du Grand-Saint-Bernard. Une route neuve est en construction mais non achevée, il nous faut donc prendre le sentier muletier, seulement, les pentes dépassant 20 %, nous ne pouvons songer à monter sur le tandem ni même à la pousser. Un mulet est donc attaché au tube plongeur du guidon et, pendant que le conducteur mène sa bête, je marche à côté de mon véhicule en le dirigeant pour éviter les trop grosses pierres. Au bout de deux heures et demie de cet exercice plutôt fatigant sous le soleil qui darde, nous arrivons à l'hospice du Grand-Saint-Bernard (altitude 2472 m.). Changement complet de climat et de température, une bise glaciale venant du nord et passant dans l'échancrure de la montagne faite par la route, nous oblige à mettre nos pèlerines, presque instantanément arrachées par la violence du vent. le lac près du col présente des aspects de petite mer polaire, avec ses blocs de glace flottants ressemblant à des icebergs.
Nous entrons dans l'hospice où un père très accueillant nous offre café au lait, pain, etc. Après nous être réconfortés et avoir visité l'hospice en partie (belles races de chiens), nous descendons sur le versant suisse.
Le passage des automobiles étant interdit dans les routes de montagnes, je retire la courroie et nous filons à toute allure, entraînés par la pente. Heureusement j'ai deux freins sérieux. A Bourg-Saint-Pierre, douane suisse très accommodante, avec la carte du T.C.F. pas de formalités. Puis Orcières où nous déjeunons, très mal d'ailleurs.
La descente devenant moins rapide je suis obligé, malgré la défense, de mettre la moteur en action, mais alors, à chaque attelage rencontré, arrêt obligatoire, les mulets, non habitués aux autos menaçant d'entraîner leur chargement dans les fossés. Nous en sommes quittes pour quelques injures et nous échappons à la contravention. Enfin Martigny (50 k.), puis, prenant la route poussièreuse de la vallée du Rhône, par Saint-Maurice et Villeneuve (lac de Genève), nous arrivons à Territet (96 k.).
Afin de varier les plaisirs nous prenons le bateau qui nous dépose à Ouchy. Le moteur bien reposé nous grimpe par une montée raide jusqu'au coeur de Lausanne. Dîner et train de neuf heures pour Paris où nous arrivons le lendemain matin. Je regrette de ne pouvoir disposer d'un jour de plus, car mon intention était de rentrer en France par le col de La Faucille, col des Rousses et Morez, complétant ainsi un circuit que l'on aurait pu dénommer la Tournée des Cols.
J.-G. Lazare
Ingénieur des Arts et Manufactures
Le tandem à moteur n'est pas né d'hier
Dès 1899, les entraîneurs de cyclistes sur vélodromes sollicitèrent l'inévitable De Dion-Bouton...
... pourtant guère léger et au prix d'une transmission compliquée. Mais, à en juger par la taille des couronnes, les mollets du pilote (à l'avant) et du "mécanicien" (à l'arrière, c'est lui qui s'occupe du moteur) n'étaient pas pour rien dans les performances de la machine.
Dessin publicitaire pour une fourche avant suspendue (Allemagne ?)