De tout temps, avant de se vautrer dans la la customisation puis le tuning actuels - et dieu sait ce qui nous attend demain - le motocycliste a aimé personnaliser sa machine. Dans les années 20/30, cela allait du rétroviseur agrémenté du fanion triangulaire aux couleurs d'un club jusqu'à l'échange du moteur pour un autre plus puissant. En général, un mono latérales prenait la place d'un culbuté tandis que d'autres s'ingéniaient à transformer un "banal" culbuté en noble arbre à cames en tête. Nouveau phénomène après la dernière guerre lorsqu'apparurent les "bitzas".
Un "bitza", qu'est-ce ? C'est une pratique revendiquée par l'Angleterre où l'usage en a établi les grandes lignes. En gros, c'est une partie-cycle de marque britannique avec un moteur de marque britannique. Ou le contraire... À partir de là, on mélange les marques, mais dans la pratique le choix est limité à trois ou quatre d'entre elles qui se caractérisent par leur surnom ou "surmarque". Ainsi, Triton = Triumph/Norton et il n'est pas difficile de décrypter les Tribsa, Trifield et autres Norvin.
La "bidouille" est une pratique qui peut être noble selon l'inspiration du propriétaire, sans aucune règle écrite ou tacite. Cependant il y a bidouille et bidouille, l'une étant parfois un assemblage approximatif en vue d'abuser le chaland. Les avant-14 se prêtent bien à ces reconstitutions, vu l'ignorance de certaines "poires". On en connaît de fort réussies - des reconstitutions, pas des poires -, assemblées méticuleusement avec des pièces et accessoires d'époque (en cuivre/laiton bien astiqué) , et qui ont trouvé place dans des collections. De préférence en dehors du pays où elles sont nées... Ainsi, à défaut d'une avant-14, voici une Soyer, ci-dessus, qui fit son petit effet dans un Rétromobile (2005 ?) avant de prendre le chemin d'Albion. Elle y fut vendue par une très sérieuse maison de vente aux enchères. On y joignait même, me semble-t-il, un palmarès acquis dans des courses hexagonales.
LOUIS CLÉMENT LA NÉO-GOTHIQUE D'AVANT-GARDE
On pourrait établir un répertoire de ces machines extraordinaires à l'historique mirobolant car inventé de toutes pièces. Mais il vaut mieux les laisser au bord de la route. En effet, pour retenir l'attention il y a assez de motos françaises sinon inconnues, du moins oubliées. Ainsi des Louis Clément, Louis Blériot, Louis Janoir. De ce trio de "Louis", ex-avionneurs durant la Première guerre devenus constructeurs de motocyclettes, le premier cité semble le plus intrigant et le plus intéressant car le plus novateur. Pas plus une Blériot qu'une Janoir ne laissent indifférents, mais une Louis Clément suscite autant l'admiration que l'étonnement. Entre le XIVème et le XVIIIème siècle, nul doute qu'elle aurait été la pièce principale d'un "cabinet de curiosités", ces lieux où des collectionneurs rassemblaient des objets curieux, insolites, rares : une défense de narval (accréditant la légende de la licorne) ; un minéral coloré (tombé de la lune) ou encore le crâne de Victor Hugo enfant (un faux, vraisemblablement). La Louis Clément y eut été en bonne compagnie... Louis Clément n'a aucune expérience motocycliste lorsqu'il expose sa 4 HP au Salon de 1919 qui se tient dans le Grand Palais à Paris. Mais il connaît déjà ce Grand Palais pour y avoir montré en 1911 un avion construit pour le compte de Marcel Besson, un spécialiste des hydravions. Curieusement, le même Besson, désireux de faire réaliser un hydravion triplan, s'adressera en 1915 à la société des Hydravions Georges Levy, qui construira des motos sous la marque G.L. (plus tard G.L. Orial). Durant la guerre de 1914-18, devant la menace allemande, de nombreuses entreprises se sont éloignées de la région parisienne où la plupart étaient installées. On ne sait rien des activités de Louis Clément à Bordeaux, ville qui figure ainsi que Lyon sur la publicité ci-dessus à titre "d'usines". Peut-être travailla-t-il en liaison avec les entreprises chargées du montage et de l'entretien des hydravions arrivant des États-Unis. En revanche, sa présence est attestée dans la région lyonnaise. Ainsi Villeurbanne accueillera au 34, cours Émile-Zola les Ets Louis Clément avec ses 600 ouvriers. Au 188 de la même rue se trouvait Gnome-Rhône que plus tard l'on retrouve à Boulogne-Billancourt, rue de Silly où est installé une usine Louis Clément en 1919. Finalement, le monde aéronautique du lendemain de la guerre s'était racorni mais celui du motocyclisme lui était très proche !
Il existe très peu de documents d'époque sur la Louis Clément hormis un mauvais prospectus assorti d'une description technique qui est reprise dans la presse spécialisée. On comprend donc l'intérêt de ces photos montrant un attelage en bon état d'origine à la finition exemplaire malgré l'absence du carter de chaîne secondaire.
Attelage cossu avec une caisse qui pourrait être signée également Louis Clément puisque le travail de la tôle d'acier était sa spécialité. Le tube oblique (et télescopique ?) reliant l'avant du châssis à la fourche est intrigant : pourrait-il s'agir d'un amortisseur de direction ?
Enfin un carter de chaîne mais aussi une nouvelle livrée bien tristounette ! Ce qui prouve néanmoins que son propriétaire tenait à sa machine. Dans une publicité d'octobre 1921, il est question des "Cycles, Motos, Cyclecars" de la marque, mais ce dernier véhicule, qu'il ait été à trois ou quatre roues, n'a laissé aucune trace nulle part.
La Louis Clément de 4 HP (62 mm d'alésage x 90 x 2 = 540 cm3) s'écarte résolument des techniques de l'époque, aussi originales soient-elles. Pas de flat-twin à la Janoir, pas de bicylindre parallèle façon Blériot, rien de comparable avec aucune moto existante sur n'importe quel continent.
Que ce soit par son moteur ou sa partie-cycle, la description défie l'imagination : bloc-moteur 3 vitesses, bicylindre en V à 55° en fonte avec culasse unique, détachable. Un arbre vertical et couple cônique commande les soupapes enfermées dans un boîtier étanche et lubrifiées par pompe manuelle et goutte-à-goutte- alors que sur la majorité des moteurs culbutés les soupapes sont surtout graissées... à l'air du temps. La magnéto d'allumage est entrainée par un arbre horizontal connecté à la base de l'arbre principal. Transmission primaire par chaîne en bain d'huile, une autre chaîne sous carter transmet le mouvement à la couronne arrière fixée sur la roue flasquée, en aluminium embouti comme celle de l'avant. Le montage sur broches facilite la dépose des roues qui sont interchangeables et dotées de freins à tambour.
Les trois trappes vissées sur le carter à plan de joint horizontal permettent l'accès à l'embrayage et à la boîte à vitesses sans dépose du moteur. La pédale qui dépasse des marchepieds "wagon" commande l'embrayage, doublée par un câble et levier au guidon. La tige verticale est celle du changement de vitesses, via un levier sur un secteur cranté fixé au milieu du réservoir.
Bien que cet exemplaire porte le numéro 47 visible à l'avant du demi-carter supérieur, on doute d'une production aussi "nombreuse" d'une machine dont la sophistication devait plutôt effrayer l'amateur que le séduire. Il faudra attendre une ou deux décennies pour que les soupapes en tête se généralisent, et quant à l'arbre à cames en tête...
Autre photo d'époque d'une machine complète qui met en évidence l'équilibre parfait de ses lignes. La fourche avant de type pendulaire sur ressort à lames est en tôle emboutie surmontée d'un coffret triangulaire qui recevait l'immatriculation sur ses deux faces. De même, l'échafaudage de tubes qui constituent d'habitude le porte-bagages d'une moto est ici transformé en un coffre à outillage. L'habillage sous le réservoir dissimule le tube entretoise reliant la colonne de direction et le haubannage de la triangulation arrière. Le bloc-moteur remplit le même rôle pour la partie basse.
Jean-Marie Debonneville a souvent démontré sa maestria au guidon de sa machine que l'on n'a plus revue depuis sa retraite dans un musée bourguignon.
Au Salon de l'Aéronautique 1920, Louis Clément revient à ses premières amours avec un triplan motorisé par un 3 cylindres Anzani en étoile de 30/35 HP.
Schéma signé de Louis Clément lui-même décrivant le montage du moteur dans son triplan ainsi que celui de l'arbre d'hélice. L'entreprise n'a pas connu de suite sauf en version planeur construite à 1 exemplaire. Aujourd'hui le triplan Louis Clément au 1/5 - sans moteur et télécommandé - survit en aéro-clubs. (si le cœur vous en dit, tous les plans sont sur : http://www.retroplane.net/triplan-clement/page1.htm)
Dès le 3 octobre 1919, Louis Clément en compagnie de quelques "capitalistes" fondait la Société Moto-Transports équipée de sidecars de sa fabrication et destinée aux livraisons urbaines. Si l'on en croit cette photographie "officielle", la chose s'est décidée dans une certaine hâte pour ne pas dire confusion. Présenter ainsi l'objet principal de la nouvelle entreprise révélait un amateurisme certain. La presse publia cependant ce document malgré quelques détails surprenants : pneus à demi gonflés avec un objet non identifié mais bien visible soutenant le moteur. La décoration des éléments de carrosserie n'est pas terminée et surtout la fourche est déjà bien fatiguée, et pour cause puisqu'il lui manque son ressort à lames de suspension ! La revue Motocyclisme précisait : "La nouvelle société a actuellement son matériel en fabrication et nous verrons bientôt, etc". On est sans autre nouvelle depuis...
En 1921, Louis Clément revoit sa copie avec une 350 cm3 (76 x 76) équipée d'un deux-temps Train avec boîte 3 vitesses et transmission par chaîne. Cataloguée à 3 500 F, elle est au même prix que la bicylindre 540 cm3 ! Son monocylindre est installé très à l'aise dans une partie cycle identique à celle de la twin en V. Le tube vertical le long de la roue arrière n'est qu'un support d'exposition.
Même en offrant une cylindrée 350 plus faible, Louis Clément n'accroche pas le succès commercial. C'est le sort de beaucoup d'autres constructeurs de son calibre et de même origine que lui. En 1922 parait une Louis Clément à moteur Sicam 100 cm3 deux-temps (1 680 F). Cette "bicyclette à moteur" pouvait recevoir une légère parallélogramme en place d'une pendulaire et sera baptisée ensuite Moto Merveille. Elle figure encore au programme de la marque de la rue de Silly, mais elle est désormais présentée par les Anciens Établissements Louis Clément. Jusqu'en 1924 la presse publiera un "programme" Louis Clément à l'occasion du Salon de Paris. On y trouvait une 98 à moteur Lutétia avec embrayage 1 850 F) ; une 175 à moteur Train et boîte 2 vitesses Albion (2 700 F) et toujours la 350 Train (3 500 F).
C'est grâce à "Tontonvelo", un site consacré à la bicyclette, que l'on a des nouvelles de Louis Clément. Mais il ne s'agit évidemment des CYCLES Clément dont la fabrication s'est poursuivie juqu'aux années 30 et qui permit de s'illustrer à quelques champions cyclistes.
L'activité sportive des motos Louis Clément fut plus que modeste. Sur un vestige de page d'une revue non identifiée, on trouve cette mention d'engagements dans une épreuve (Paris-Nice ?) de tourisme : "Quatrième catégorie (750 cc) : 40. Calvignac (Louis Clément) 540 cc ; 41. X... (Louis Clément). 540 cc ; 42. X... (Louis Clément) 540 cc ; suivent les noms de plusieurs autres engagés. Or, le premier nommé Calvignac est lié à Louis Clément, ce que nous apprend un écho de la revue Motocyclisme (1/04/1920) annonçant "la naissance de Mademoiselle Marinette Calvignac. L'heureux papa n'est autre que le si aimable ingénieur de Louis Clément bien connu et estimé dans notre petit monde". Jusqu'à nouvelle découverte, ces engagements sont la seule trace d'une participation de la marque à une compétition, aussi "touristique" soit-elle. Reste à en trouver les résultats si les Louis Clément ont honoré leur engagement.
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